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dimanche 21 février 2016

Lettre à mes ami(e)s

Robert Doisneau : le violoncelliste

Lettre à mes ami(e)s

Fontainebleau, le dimanche 21 février 2016

Amis, j'ai eu envie de vous écrire. J'aurais pu le faire par mail, mais un envoi groupé pour une missive personnelle ; j'ai rechigné un peu. Paradoxe des bonnes décisions ; j'ai donc décidé de la rendre publique !

J'ai eu envie de vous écrire parce que depuis plusieurs mois je m'en veux de vous délaisser. Oui : pas d'invitation, peu d'appels téléphoniques, peu de visites (voir pas du tout). Non pas que je ne pense pas à vous, vous, les Nathalie, Les Françoise, les Armand, les Philippe, les Jean François, les Maria, les Christine, les Florence (oui, beaucoup de femmes, c'est comme ça!), -et je prie ceux qui se sentiraient omis de m'excuser par avance- mais je suis entré en solitude.

Pourtant, je pense à vous, souvent, si ce n'est tous les jours. Je garde pour vous une tendresse indéfectible et une reconnaissance infinie pour ce que vos présences, vos coups de main, ont apporté et apportent dans ma vie.

Entré en solitude, disais-je. A cela deux raisons, pas des moindres, et qui se rejoignent peut-être pour n'en faire qu'une. Mon entrée dans la Voie du tambour et le séisme du mois d'août 2014. Les deux, chacune à leurs manières, m'ont obligé à la solitude. La première parce qu'il faut du temps, de la présence, de l'énergie, de l'attention au monde pour la vivre intelligemment et profondément. La deuxième parce qu'il a été décidé une bonne fois pour toute, qu'un tel événement ne pouvait arriver pour rien, et qu'il m'oblige à me poser la question de tout ce que je n'ai pas su voir me contraignant, de ce fait, à une remise en cause profonde de mes fonctionnements.

J'insisterai sur le fait que tout cela n'est plus vécu de manière douloureuse. La vie a été très douce et aimante avec moi depuis. Elle m'a même offert de vivre une belle histoire de cœur et d'âme avec une femme chère à mon cœur dans la région de laquelle je suis du coup souvent, m'éloignant là encore de vous.

D'autres, sans doute, s'y prendraient différemment, multipliant les sollicitations sociales par envie et besoin de s'inscrire pleinement dans le monde. Je suis pour ma part entré dans une ascèse, parce que je sais devoir en passer par là. Étymologiquement (voyez, je ne me refais pas...) « ascèse » a la même racine que le mot « exercice ». Oui, je m'exerce. J'exerce mon âme a comprendre ma place dans le monde, à chercher ce que je suis vraiment et quel doit être le sens de ma vie à venir. Le silence et la solitude m'y aident. Je ne perçois certains choses qu'à partir d'eux. J'ai atteint un âge où la question de notre finalité ne peut pas ne pas être posée (et ma mère qui est entrée dans un étrange espace intermédiaire est là pour me le rappeler). Alors je cherche. Et comme je dispose de peu de temps (j'ai quand même un travail qui me prend beaucoup et beaucoup d'autres activités qui me prennent tout autant : le Tarot, la Voie du tambour, l'écriture, la musique, le conte...) ; alors, pour un temps, je me suis un peu retiré du monde. De votre monde, vous que pourtant j'aime tant.

Ce n'est pas un oubli, pas un abandon, pas un dédain. Juste un besoin profond pour ce qui me concerne.

Je vis près d'une forêt et son monde -presque- pourrait suffire si j'y ajoutais les présences attentives rencontrées sur la Voie du tambour. C'est là un piège dans lequel je n'ai nulle envie de tomber. Je veux être et vivre pleinement dans la vie comme elle va, avec ses difficultés, ses contraintes, ses joies et ses satisfactions. Je veux dire par là que si je m'isole momentanément, je me sens relié à vous bien plus que fortement et je voulais vous remercier de ce lien.

Je songe à faire vers les beaux jours une crémaillère à retardateur. Vous y serez bien sûr invités si je concrétisais la chose.

Dans l'attente, je vous embrasse sur mon cœur en vous remerciant à nouveau de votre présence et de votre patience.

Et pour clore ce texte, j'ai l'élan de partager avec vous le texte d'une chanson écrite il y a un peu plus de trois ans. Elle s’intitule « Amis » je me dis qu'elle est de circonstance...

Amis, le temps nous est venu,
le temps ami de nos enfances,
le temps nous apprend la patience.
Nous partirons matin venu,
le temps qui passe nous laisse nu.

Aller, O aller et venir,
Nous perdre ; courir à perdre haleine.
Oublier les peurs, les regrets,
Le temps est roi de nos chemins.

Parents, enfants, au loin s'éloignent,
amis s'éteignent, amants s'étreignent,
sur les plages nos enfants effacent
les traces que nous avons laissées
en attendant la nuit tombée.

Aller, O aller et venir,
Nous perdre ; courir à perdre haleine.
Oublier les peurs, les regrets,
Le temps est roi de nos chemins.

Dans quelles clairières, pour quelles prières,
amis, nous retrouverons nous ?
Combien d'amis seront tombés ?
Combien d'enfants nous seront nés ?
Combien de baisers envolés ?

Aller, O aller et venir,
Nous perdre ; courir à perdre haleine.
Oublier les peurs, les regrets,
Le temps est roi de nos chemins.

Amis, le temps nous est venu.
Feuilles, le vent emportera.
Amis au loin dispersera.
Nous partirons matin venu,
Riches de nos baisers perdus.









dimanche 31 janvier 2016

Les maisons de retraite


Et puisque ce texte parle de lignée, en voici une partie d'une : ma mère, moi et mon frère, mes enfants. Tous à peu près au même âge. Il faudrait bien sûr ajouter mon père (je n'ai pas de photo de lui enfant) et la fille de mon frère, ainsi que les mères respectives de nos enfants...





Les maisons de retraite médicalisées sont des endroits hors du monde. Un entre deux. Peu à peu, les résidents s'y dépouillent des lois de la vie sociale pour plonger dans un territoire que nous, plus jeunes, ne pouvons qu'imaginer. Où vont-ils ? Qu'attendent-ils ? Pas seulement la mort ; ce serait trop simple. Ils attendent que quelque chose se dépouille et surgisse ; une compréhension peut-être. A moins que, tout simplement, ils n'attendent d'être prêts à passer de l'autre côté, ou qu'en cas de peur trop forte, les choses ne se fassent complètement à leur insu..

Nous ne savons pas encore, nous, actifs encore valides, ce que ce travail implique ; tout occupés que nous sommes à rechigner devant l’inéluctable de notre propre mort, un jour, le plus tard possible.

Les personnes qui sont là ont déjà faits tant de deuils, accepter tant de renoncements : renoncement à rester chez soi, renoncement à être autonome, renoncement à aller faire les courses, à être « comme avant », renoncement à la santé, à la jeunesse, à l'amour, eux souvent veuves ou veufs...
Certaines (il y a infiniment plus de femmes que d'hommes) gardent quelques traces de coquetterie : une jolie barrette fleurie dans les cheveux, un foulard peut-être offert par les enfants. Et il n'est pas difficile de voir en leurs visages flétris celui de leurs vingt ans. Parce que, et cela est le grand mystère, même au-delà de la dégradation de leurs capacités cognitives, reste quelque chose d'infiniment respectable : leur âme et la trace indélébile de la vie qui les a traversés et les traversent encore. C'est à cela qu'il faut s'adresser.
Vient un moment, peut-être, sans doute, où tout cela s’efface. Comme cette femme couchée qui ne s'exprime plus que par cris. Beaucoup pourtant mettent un point d'honneur à garder une dignité renversante, malgré ces mains -professionnelles mais aussi tellement bienveillantes pour ce que j'en ai vu- qui les nettoient de ce que le corps élimine, malgré ces toilettes que l'on ne peut plus faire tout seul, malgré ce corps qui ne nous porte plus et qui exige de nous faire déplacer dans des cocons de tissus suspendus à d'étranges portiques à roulettes, malgré ces mots qui nous échappent, cette mémoire qui disparaît...

Dans quel monde plonge alors la psyché ? En quelle mystérieuse attente se résout-elle ? Peu à peu, les fonctions les plus élémentaires commencent à disparaître. On mange de moins en moins, on oublie jusqu'à la soif, on dort beaucoup, on ne contrôle plus ses muscles... Comme une lente régression psychique qui nous ferait remonter jusqu'à notre prime enfance. Quelle travail exactement exécute ces âmes ?

Certains restent entourés de leurs proches : enfants, petits enfant, arrière petits enfants, qui viennent les voir les soirs de semaine ou les week-ends. D'autres n'ont plus de visites, ou si peu. Comme si parfois l'oubli social précédait la fin à venir. Sur quelques maigres étagères dans les chambres, quelques souvenirs ; des objets à la simplicité touchante, et surtout des photos ; d'eux plus jeunes, de leurs descendants ou du conjoint qui n'est plus. Toute une vie résumée à presque rien ; que les enfants conserveront un temps et puis mettront dans des cartons jusqu'à ne plus savoir quoi en faire.

Chacun de nous, qu'il le veuille ou non, est un pont entre générations. Le prolongement d'une lignée sur laquelle il est un point par lequel passe un temps, affects, biens, projections, rejets, identifications... Un passage de témoin à double sens : d'abord les parents qui s'occupent de leurs enfants, les élèvent, les font grandir, leur transmettent le meilleur et le pire ; et puis, un jour, les enfants qui à leur tour prennent soin de leurs parents, comme une sorte de boucle éternellement répétée, reconduite, réinventée. Prendre soin de sa lignée implique d'avoir au préalable pris soin de soi. En l'absence de ce travail, on répète à l'envie les mêmes schèmes malades ; le devoir et la contrainte prenant le pas sur l'amour. Et puis, paradoxe, mais c'est peut-être là le propre de l'amour, c'est en prenant soin de l'autre que l'on nourrit en soi des richesses et une vie que l'on ne soupçonnait pas toujours.
Notre lignée est un bien commun partagé par des générations et des générations qui se le remettent pour le meilleur et pour le pire. On peut bien sûr le refuser, et sans doute est-il nécessaire, un temps, de le faire. Mais vient toujours un moment où ce qui n'a pas été fait attend de l'être, nous empêchant alors d'aller plus loin. Il ne s'agit pas de prendre à n'importe quel prix. Il s'agit de prendre le bon bien sûr, mais aussi de faire en sorte de nettoyer, soigner, ce qui nous a été légué de malade pour enfin s'en émanciper, pouvoir vivre pleinement et en libérer la génération qui nous suit.

Il est difficile pour nous, simples visiteurs, de trouver les mots justes devant ces mémoires qui vacillent, ces corps qui s'affaissent. On voudrait pouvoir parler « comme avant » et cela est impossible. Alors, par empêchements successifs, par petites compréhensions mises bout à bout, on découvre la réponse : la disparation progressive des mots, le désintérêt spectaculaire pour les choses de notre monde (y compris pour nous-mêmes), la volatilisation de la mémoire et même parfois de sa propre identité, obligent alors le visiteur à travailler sur la présence pure. La présence d'amour pur.
Ainsi ai-je vu l'autre jour un couple visitant la mère de l'un des deux, assis tous les trois autour d'une table. Pendant tout le temps de la visite, la femme, yeux fermés, mutique, complètement absentée d'elle-même, et les enfants là, présents, dans le silence contraint, juste pour être là, avec elle. En les voyant tous les trois, je me suis dit deux choses : d'abord que j'avais bien de la chance de pouvoir encore échanger quelques mots avec ma mère ; ensuite que ces deux-là avaient compris l'essentiel et qu'il me revenait d'apprendre à en faire autant.
Je me suis dit aussi que prendre soin de ceux qui nous ont offert de vivre cette expérience de l'incarnation était aussi un moyen de grandir, que c'était aussi un don que l'on se faisait.
Prendre soin de ceux qui nous ont précédé comme de ceux qui nous suivent. Une admonestation à nous accomplir. Le temps d'une vie est court, à peine un souffle ; et combien alors chaque seconde est précieuse. Rien de pire qu'une vie gâchée, perdue juste par inattention. Une obligation alors à la vigilance à vivre...


jeudi 14 janvier 2016

L'Un bat go ? Non ; lumbago



Bowie est mort (et la photo ci-dessus prise le jour de son anniversaire trois jours avant sa mort semble nous murmurer que certaines personnes peuvent être aussi belles à l'orée du grand passage qu'en leurs vingt ans...). Jean Marie Pelt est mort. Michel Galabru est mort. Lemmy est mort. Les artistes sont comme des amis qui nous accompagnent ; on grandit avec eux, les pensant comme des présences tutélaires rassurantes. Et puis ils prennent le large nous laissant comme orphelins.
J'arrive à un âge où les légendes de mon adolescence encore vivantes se font la malle. Bowie a arrêté la scène à peu près à l'âge que j'ai. Lemmy, euh... pas vraiment ! Galabru a joué presque jusqu'au bout. 69 ans, 70 ans, 90 ans... Loterie joueuse...
Ils sont morts donc, et ma mère -quant à elle, a décidé de perdre sa mémoire et de faire fi de la réalité géographique où elle se trouve. Tu me diras, c'est pratique : admirons cette capacité à se penser ailleurs qu'en une maison de retraite, en s'imaginant parfois vivre encore chez soi. Admirons cette capacité à oublier tous les souvenirs pesants. Et vu qu'elle ne mange pas, j'imagine qu'elle doit se sentir toute légère. Évidemment pour les enfants, appréhender le fantôme qu'elle devient est une autre histoire... Il faut juste garder l'amour...
Ils sont morts, ma mère est en train de jeter sa mémoire dans un grand trou noir, et je sais devoir changer de vie, de métier, de région... Je sais devoir le faire, mais je ne sais pas comment le faire. Du coup, beaucoup de réflexions, d'hésitations, de perplexité devant les chemins à prendre. Un travail en cours, souterrain pour une part. Un jour (le plus tôt possible) tout deviendra clair et alors je saurais. Pour l'instant, ça couve.
Du coup, mon dos n'a pas supporté. Alors, il s'est tendu jusqu'à se bloquer. Cela s'appelle une lombalgie musculaire. Oh ! Il a certes pris pour prétexte quelques heures de jardinage, là-bas dans les terres de l’Émerveillée ; mais personne n'est dupe ! Du coup, arrêt maladie. Immobilisation forcée. Et pour l'instant, pas même la possibilité de travailler de l'intérieur toutes ces choses-là, vu que je suis complètement abruti, d'abord par la douleur, ensuite par les médocs.
Ce matin, j'ai fait la vaisselle et c'était comme une grande victoire sur le monde. Demain, ça ira sans doute encore mieux.
Nos corps nous parlent mais nous ne les entendons pas toujours. On le sait maintenant : corps et esprit ne sont pas séparés, et la conscience survit au cerveau. Le corps pense, à sa manière, mais nous ne l'écoutons pas. Alors il insiste. Nous nous extasions à juste titre sur notre cerveau et reléguons trop souvent le corps aux basses œuvres, alors qu'il est aussi un chef-d’œuvre de cohésion fonctionnelle et énergétique absolument renversant. Nous cherchons la beauté aux confins de l'univers (et elle y est aussi) quand nous habitons un des écosystèmes les plus complexes, merveilleux, parfaits : nous.
Si chacun avait le même infini respect de ce qu'il vénère habituellement pour ce qu'il est vraiment, le monde serait sans doute différent. Non pas tant, « nous » ; égos temporaires obnubilés par nos transes intérieures, mais ce que nous sommes réellement : une conscience parfaite incarnée en un écosystème appelé « corps » absolument fabuleux dans son fonctionnement. Être en vie est une chose parfaitement extraordinaire, même si on a mal au dos. Et comme il semble bien que la conscience va d'une incarnation à une autre, cela promet encore de longs et beaux voyages... (Tu peux douter, mais en fait sur ces questions, on continue de penser la vie, la mort, l'énergie, la matière... comme au 19ème siècle, alors que, même la science, est entrée depuis dans un autre paradigme que l'on n'a pas intégré et qui n'a plus rien à voir. Comme le fait, par exemple que c'est l'énergie qui crée la matière et non l'inverse !).
Sur ce que je dois faire de mes prochaines années, je ne le sais pas encore. Je sais simplement qu'il faudra que la forme que ça prendra honore et serve cette mirifique beauté que représente le fait d'être en vie.
Sur ce, mon dos me rappelant à l'ordre, je retourne m'allonger...