samedi 4 août 2018

Faire son miel en attendant des jours meilleurs

Julian Martinez , San Ildefonso Pueblo Bandelier - National Monument - New Mexico 1912
Photo by Jesse Nusbaum

Jacques Higelin racontait souvent des anecdotes vécues dans lesquelles le merveilleux côtoyait le prosaïque. Ainsi l’ai-je entendu raconter dans une émission de radio récente une de ces histoires.

Elle s’est passée bien avant la notoriété. Dans ces années faméliques de vache maigre et en cette période où il vivait dans une camionnette garée dans une rue de Paris et vivait en faisant la manche. De ces périodes de dèche qui peuvent vous détruire. En plus sa femme s’était retrouvée très malade et hospitalisée. En cette sombre période donc, il finit par décrocher un concert. La salle du concert était au 1er étage et il y avait un bar au 2ème. Le patron lui offrant un coup, il y va et là, il pense à sa vie, à tout ce qui va à vaux l’eau, à sa femme à l’hosto, au fric qui ne rentre pas, au succès qui ne vient pas et, discrètement, s’en cachant un peu, il se met à pleurer. C’est alors qu’un inconnu s’approche de lui et, sans un mot, dépose devant lui un papier, puis s’en va. Higelin prend le papier et lit : « Si tu as du sucre, même en pleine jungle les fourmis viendront ». Et Higelin raconte que cette simple phrase le guérit de cet abattement qui aurait pu l’anéantir.

Oui, si ce que tu as offrir est bon, si tu l’offres au bon moment, aux bonnes personnes, alors le succès viendra. Cette histoire de sucre m’a touché parce que c’est un peu l’histoire de ma vie de ces derniers mois. Un alliage, une alliance, qui ne se sont pas faits alors qu’ils ont fini par avoir lieu pour Higelin.

Mon sucre était-il bon ? Oui, sincèrement et sans orgueil démesuré, je pense qu’il l’était. Je pense vraiment -même si évidemment les marges de progression sont sans fin- que je fus un bon conteur (je dis « je fus » car je pense sérieusement arrêter), que je suis un bon tarologue, et même un bon masseur. Oui, mon sucre était bon, mais... les fourmis ne sont pas venues !

Pour de multiples raisons sans doute dont les deux premières sont que je ne suis absolument pas programmé pour mettre en place ce qu’il faut pour les faire venir et qu’avoir trop de cordes à son arc finit par nous desservir. D’abord parce qu’il est difficile de suivre plusieurs lièvres à la fois, ensuite parce que l’on est vite taxé de néophyte dispersé. Mais aussi et surtout parce qu’à l’exception des amis et d’une sorte de tribu peu nombreuse mais magnifique, mon sucre n’était pas attendu, où tout au moins pas attendu là où je le proposais. Le succès pour ces choses-là réside dans une sorte de conspiration, dans un grand rendez-vous invisible entre soi, ce que l’on propose, à qui on le propose, avec la vie et toute une multitude de choses agissantes à notre insu ; et le talent n’est qu’un des aspects, pas obligatoirement le plus déterminant, que cela plaise ou non.

Nous sommes des abeilles consciencieuses qui cherchons notre propre nectar pour pouvoir l’offrir au monde. Ce que nous faisons le mieux, ce que nous faisons résonner, ce qui réveille le meilleur de nous-mêmes. Ce peut-être dans l’art, dans le soin à la personne, mais aussi dans la mécanique auto ou même les métiers de bouche… Et dire que nous vivons dans un monde qui en général se contrefiche de notre nectar et préfère aller chercher en nous juste la machine à produire est un tel lieu commun que je ne suis même pas sûr qu’il vaille d’être rappelé ici.

Ainsi, passons-nous des années à cultiver notre propre nectar pour l’offrir au monde. Et parfois il est pris et parfois il ne l’est pas. Et beaucoup ne s’en sont jamais remis. Parvenir à ne pas en être affecté est un grand koan : ne pas s’identifier à ce que l’on propose tout en le travaillant et le défendant mordicus. Je ne suis pas que mon nectar mais celui-ci est une des choses qui m’habitent les plus précieuses ! Un grand koan à résoudre…

Alors du coup, je mets tout à plat. Je dépose tout. Je ne vais pas dans la jungle, mais au désert. Oui, je dépose tout et j’observe ce qui reste, parce que nous n’avons d’autres choix que de nous réinventer sans cesse. Je cherche ce qu’est vraiment le miel (c’est plus joli que le sucre ! ) que j’ai à offrir et surtout je cherche l’écosystème dans lequel il sera bon de l’offrir. 

Il ne suffit pas de se trouver soi-même. Il faut aussi trouver sa place dans le monde là où ce que l’on est trouvera matière à moissons. J’avoue que jusqu’ici je l’ai rarement trouvée. Certains ont un don inné pour cela ; au mieux ils sont mus par la grâce, au pire ce sont des faiseurs-opportunistes, mais oui, certains font cela très bien.

J’y travaille, je réfléchis, j’attends. Peut-être une des ces phrases qui vous guérissent en les lisant, comme cette histoire de sucre le fut pour Higelin, ou comme cela m’est arrivé une ou deux fois dans ma vie. J’attends, je scrute les signes, je fais ce que que j’ai à faire dans le réel (et donc entre autre trouver du travail puisque là encore la vie m’a encore fait une surprise de taille). J’essaie de voir au-delà d’un échec cuisant ce que j’ai à vivre et à comprendre. Je vis dans une ville où je ne connais presque personne, je travaille (au moins pour trois semaines encore) à temps partiel et donc j’ai du temps… Abeille errante je fais mon miel en attendant des jours meilleurs...