vendredi 5 août 2016

Parce que mieux vaut allumer une bougie que de maudire les ténèbres


Photo : Jean Pierre Dutilleux

Parfois, il faudrait accepter de ne plus se sentir obligés d’avoir un avis sur tout mais de simplement témoigner de ce que nous sommes. 

En cette période où l’ombre, et son cortège funèbre l’accompagnant, sont omniprésents : barbarie, sang, peurs, violences, brutalité, rejet, simplisme, manichéisme, raccourcis hâtifs, nationalisme, populisme, intolérance… il nous revient d’assumer pleinement ce que nous sommes ; nous hommes et femmes de « bonne volonté ».

Parce que la peur suspend la pensée, il nous revient de continuer à penser.

Parce que cette peur pousse au simplisme, il nous appartient de continuer à penser complexe.

Parce que la violence incite à la haine, il nous revient de ne pas nous laisser happer par elle.

Parce que ce lent harcèlement de la terreur nous pousse à la panique et à une fébrilité d’automates, il nous revient de revenir à la présence de l’instant, à la lenteur et à la mise à distance de nos émotions les plus réactives.

Parce que la panique réduit l’espace mentale et géographique, il nous revient de continuer de penser large.

Parce que le mal morcelle, il nous appartient de suivre notre chemin de reliance au vivant et aux êtres qui nous entourent.

Parce que la guerre subie nous incite à prendre les armes, il nous appartient de chercher ce qui relie les Hommes plutôt que de cultiver les zones de clivage (ce qui n’a rien à voir ni avec l’excuse ni avec le fait qu’il ne faille jamais prendre les armes, en insistant sur le fait que faire la guerre sans préparer la paix est une spirale sans fin).

Parce que l’inhumanité se nourrit de la barbarie, il nous revient de cultiver l’humanisme le plus lucide.

Parce qu’en ces temps où ne sont entendus que ceux qui hurlent plus forts que les autres, il nous faut faire confiance à la force d’un murmure amplifié par des millions d’autres murmures.

Nous devons continuer de témoigner, en ces temps où la barbarie repointe ses dents de charognard, qu’il est possible, juste et nécessaire  de continuer de cultiver certaines valeurs : l’amour, le respect de l’autre, l’attention portée à la Vie, la modestie (qui n’est pas l’auto dénigrement), le travail sur soi, la relativité des croyances, la modération… Tout en prenant toutes les dispositions nécessaires bien sûr pour assurer notre sécurité.

Si il y a bien une chose à quoi nous oblige la barbarie mondialisée prônée par quelques fous d’un dieu qui n’en demandait pas tant, c’est bien de tenter de rester intelligents, même devant l’impensable. Quand bien même cet impensable revienne à constater et accepter  que notre « culture », notre « sens du bien », sont extraordinairement fragiles et qu’il suffit d’un rien pour faire d’un charmant garçon un tueur qui commettra l’inimaginable. Nous l’avons vu récemment tant de fois dans l’histoire : en Allemagne, en Chine, en URSS, au Rwanda, au Cambodge… Cela n’exonère en rien les tueurs de leur propre responsabilité, mais nous devons aussi regarder cet aspect de l’humain dans le profond de nous-mêmes.

A cette obligation de continuer de penser et de comprendre (ce qui, une fois encore, ne vaut pas excuse), s’ajoute le devoir pour chacun et chacune de témoigner de sa propre lumière. Parce que la barbarie, partout où elle va n’a d’autre but que celui d’éteindre la lumière du monde. Le moment est venu à ce que tous les hommes et femmes de « bonne volonté » se fassent entendre.

En fait le cadeau le plus coûteux que nous puissions faire à ces fous, serait d’éteindre en nous cet appel de l’amour et de la Vie. A chaque fois que nous éteignons en nous notre lumière, nous leur faisons gage de leur puissance. Et à ce titre la peur est une arme de destruction massive…

Je suis donc enjoint pour ma part, qui aime à me qualifier « d’homme de paroles » à développer et faire savoir, encore plus qu’avant peut-être, ce à quoi je crois : la pensée, l’intelligence, l’amour, la bienveillance, l’attachement à l’état de droit, les possibilités de développer une autre façon de vivre, de produire, de consommer, de cultiver, de vivre ensemble…, la coopération plutôt que la compétition, l’art, les histoires, la musique… l’intériorité comme un contact avec notre source, la quête de soi et d’une juste place dans le monde, la plénitude et la conscience face à l’hystérie de l’urgence, le soin porté à l’autre dans des pratiques de guérison tant psychiques que physiques, l’exploration de toutes les dimensions de la Vie et de l’existence humaine, pour peu qu’elles ne nuisent pas à mon prochain…

A chacun de nous résident deux forces : l’une qui voudrait dominer le monde et une autre qui voudrait le guérir ; et nous devons toutes les deux les regarder en face…


Parce que notre monde, notre pays, me semblent à un moment tragiquement charnière de son histoire, je crois nécessaire aujourd’hui que le plus grand nombre témoigne de cet engagement, de ces valeurs, en fonction de ce que chacun est, lucidement, sans angélisme aucun. Juste pour que la petite lumière vacillante de s’éteigne pas…