Entre
mes 20 et 26 ans, j’ai poursuivi le rêve d’être musicien
professionnel, plus exactement percussionniste. Je jouais les congas,
le berimbau et le djembé. J’étais alors un jeune homme encore un
peu adolescent et aux rêves intacts. Matériau encore un peu brute
j’avais la fougue et les fulgurances de l’adolescence mais aussi
un substrat d’empêchements assez épais…
Je
ne sais si à l’époque j’avais beaucoup de volonté, mais ce qui
est sûr c’est que j’avais des désirs très puissants, et la
musique fut un élan irrésistible. Je lui dois quelques-unes de mes
émotions les plus puissantes, tant comme auditeur que comme
musicien. Je travaillais beaucoup : deux à quatre heures par
jour de pratique. Je pensais musique, vivais musique, parlais
musique… J’étais une sorte d’obsessionnel branché sur une
fréquence particulière ; celle de la musique et plus
spécifiquement du rythme. Et, une fois noté le fait que j’avais
déjà à l’époque une curiosité insatiable pour diverses autres
choses et plus spécifiquement pour le monde comme il va, je ne sais
sans ces élans pluriels ce que je serais devenu. Un bloc de marbre
noir fermé sur lui-même faute d’avoir réussi à atteindre la
musique que j’entrevoyais ? Un musicien accompli mais figé
dans ses cadres ? En tout cas, un jour, j’ai décidé
d’arrêter la musique.
Ce
fut rude et pour autant dire un peu violent. Sur les raisons qui
présidèrent à ce choix, il y en eut beaucoup. Commençons par les
choses matérielles : besoin d’argent, la précarité n’a
qu’un temps. Continuons vers d’autres choses plus délicates.
D’abord, pétri d’admiration pour le musicien avec lequel je
travaillais alors, je ne suis pas sûr que je jouais totalement ma
musique. Je crois que je jouais beaucoup la sienne et peu la mienne.
Ensuite, il y eut un moment où je vis –ce fut comme un flash
dévastateur- très exactement là où je me situais en tant
que musicien : pas le niveau pour faire la musique que j’aurais rêvé
de faire, et pas le goût des concessions pour faire une musique que
j’aurais pu jouer mais qui ne m’intéressait pas… Il y eut
d’autres raisons plus affectives donc plus secrètes que je ne
développerai pas. Disons simplement qu’un jour je vis –les
choses n’avançant pas comme nous l’aurions voulu- que mon statut
de musicien plus ou moins inachevé ne faisait plus briller les yeux
de la femme que j’aimais alors… Parfois, nos vocations reposent
sur des choses tellement étonnantes !
Cet
arrêt de la musique fut un renoncement douloureux. Un schisme. Et
toucher un tambour, malgré diverses tentatives, demeura longtemps
pour moi quelque chose de douloureux, réveillant un inassouvi et un
inaccompli qui me peinaient beaucoup.
Alors,
le tambour a quitté ma vie (le berimbau un peu moins) pour, bien des
années plus tard, être remplacé par la guitare que je continue de
jouer et qui me procure toujours d’immenses plaisirs. Et puis, les
années ont passé encore. Le jeune musicien chevelu que je fus
approche d’une soixantaine plutôt dégarnie, avec beaucoup de
kilos en plus, mais aussi beaucoup de compréhensions, de
découvertes, de chemins parcourus et surtout une aptitude au bonheur
et à la joie que je n’avais pas à l’époque. C’est peut-être
d’ailleurs un trait du vieillissement : la capacité à la
joie suit la même ligne que notre charge pondérale !
Les
cycles qui font notre vie sont multiples et surprenants et avancent
souvent en spirale. Un élan puissant duquel je finis par m’éloigner
(ce peut être le conte, l’écriture, la musique…), pour y
revenir souvent bien des années plus tard après avoir nettoyé en
moi ce qui empêchait à un moment cet élan de se perpétuer. En
général, j’ai le besoin d’arrêter quand une chose finit par
prendre toute la place dans ma vie ou quand elle me semble se
rigidifier. Depuis cette expérience de musicien, je refuse de
m’enfermer dans une seule chose…
Et
puis le tambour est revenu. De façon étrange et très puissante. Il
est tout débord revenu grâce à la Voie du Tambour. Puissance du
tambour pour voyager entre les mondes. Rythmes linéaires certes,
mais cette pulsation sourde qui revenait. Dire que ce nouveau chemin
fut et reste fondateur d’un nouveau irrésistible dans ma vie
serait un euphémisme… Sur ce chemin donc, de multiples
métamorphoses intérieures, et puis une nouvelle énergie qui peu à
peu s’installe et l’élan puissant de prolonger ma pratique de la
guitare –par nature plus intériorisée- par des propositions plus
extériorisées, plus exubérantes, plus joyeuses, plus folles…
Comme si une nouvelle présence, disparue pour un temps, était
revenue m’habiter et me disait : vas-y ! Car oui, nous
sommes à notre insu habités de présences (ou de possibles de
nous-mêmes) qui se révèlent en fonction des méandres de nos vies…
Alors
samedi dernier donc, je me suis offert un nouveau djembé (le premier
étant resté d’une façon très étrange dans la lignée d’une
ex…) Joie, retrouvailles. Inquiétude d’avoir tout perdu et de
devoir tout réapprendre. Et puis non. Si la technique a bien sûr
souffert des années d’abstinence, le son est toujours là. Le
plaisir de jouer aussi, et surtout, toutes ces années (près de 30
ans !) m’auront permis de faire le deuil de ce que j’avais
alors laissé en arrêtant la musique. Je me sens neuf devant
l’instrument et pleinement moi-même. Bonheur.
Là
où je pars vivre cet été, je pourrai jouer sans problèmes de
voisinage (enfin, j’espère !). J’espère y trouver de bons
musiciens pour jouer avec eux et d’ores et déjà je travaille sur
la mise en forme d’un nouveau spectacle de contes qui reprendra une
partie de mon répertoire africain mais avec le djembé… Un seul
mot d’ordre : ne pas vouloir faire à tout prix « conteur
africain » (la norme va parfois se cacher dans des endroits
étranges…).
Le
tambour est un chant puissant, soulevant une énergie dionysiaque. Et
parce que dans le vivant tout est rythme, il s’inscrit dans un
espace à la vitalité débordante. Il célèbre le corps, la joie
d’être et le partage, exige la présence pleine et entière et se
joue des états d’âme. Un nouveau souffle… Ainsi, de nos
tambours chantant, nos pieds feront vibrer la terre, soulevant la
poussière…
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