Ne cherche pas à retenir
les morts, il faut les laisser partir. Une fois quitté leur
enveloppe terrestre ils deviennent autre. Celles et ceux que tu as
aimés ne sont plus là ; ce qui les a retenus ici-bas, ce
qu’ils ont aimé, ce qui leur a appartenu… Tout cela n’a plus
pour eux aucune importance. Seul importe encore l’amour. Ils
deviennent juste des lucioles qui nous guident dans la nuit, des
phares pour temps agités, des étoiles pour ne pas s’égarer.
Nous croyons leur être
fidèles en nous comportant comme s’ils étaient encore les mêmes
« qu’avant ». Nous nous inventons des loyautés
invisibles envers eux, au prix parfois de notre propre lumière alors
qu’ils n’en demandent pas tant. Fais fi de ton chagrin s’il
t’empêche de réaliser la lumière qui est en toi. Par contre,
creuse ta blessure au plus profond ; tu y trouveras des leçons
qui t’éclaireront.
Et parce que ceux qui nous quittent nous apprennent à nous préparer pour le jour où... Oui, il te revient d'apprendre vraiment qu'un jour tes biens ne seront plus les
tiens. Oui, un jour tes enfants, ta ou ton conjoint(e), ceux qui
t’aiment, entoureront ton cercueil ; oui, un jour ton corps
redeviendra cendre ou poussière ; oui tes biens seront éparpillés,
dispersés, comme cendres dans le vent. Oui, ce que tu penses être
durable ne l’est pas. Rien ne dure. Oui, la mort -lorsque elle est
aussi normale et naturelle qu’elle puisse l’être- peut avoir le
pouvoir, pour peu que l’on accepte de la laisser faire, de
transformer les rancœurs et ressentiments en amour. Tout passe. Tout
change. Tes souvenirs sont des mirages flottant au fil inconstant des
jours. Ce que tu appelles « je », « moi » ira
se dissoudre dans l’infini du ciel. Les rivières continueront de
couler, la terre de tourner presque comme si rien ne s’était
passé. Juste auras-tu disparu et brilleras-tu pour un temps dans la
mémoire de ceux qui t’ont connu, jusqu’à ce que, eux-mêmes, fassent le grand voyage. Sauf d’avoir laissé une "œuvre", on
disparaît vraiment de ce côté-ci du monde le jour où tous ceux
qui nous ont connus ne sont plus.
Un jour, oui, ceux qui
t’aiment te pleureront. Tu voudrais juste alors être certain avant
de partir qu’ils sauront te trouver dans le bruit du vent, dans le
bruissement des feuilles, dans la lumière du lever du jour, dans la
crypte du cœur là où repose l’amour. Alors, tu sais que tu seras
toujours là pour eux et que ce qu’ils pleureront sera simplement
le souvenir d’une présence qui a changé de forme.
Regarder un mort, et
immédiatement savoir qu’il n’y a plus personne dans ce corps-là.
Que ce quelque chose qui faisait « qu’il y avait quelqu’un »
n’y est plus. Que ce quelque chose est parti ailleurs. Parfois on
reste devant cette disparition franche et définitive sans aucune
réponse. Parfois, on parvient à se connecter à cet « ailleurs »
et alors on obtient quelques réponses.
La vie a besoin de se
renouveler sans cesse. De recombiner à l’infini ce qu’elle a
créé. De faire du nouveau pour se réinventer. La vitalité que
nous perdons en vieillissant se transforme en lumière et puis un
jour, cette lumière retourne vers les étoiles. Et un autre jour
encore, peut-être des millénaires plus tard, des atomes venus de
ces mêmes étoiles rejoignent la terre. Cycle immuable, infini, parfait. La
mort est une fin, mais un début aussi. Elle est un cycle
perpétuellement renouvelé.
La vie est une
Expérience. Une magnifique expérience, éphémère comme bougie
dans le vent et bouleversante comme aube qui pointe. Notre vie est un
souffle, une flamme, qui ne peut être vaine si nous avons aimer et
cheminer vers ce plus grand que soi en respirant avec la beauté du monde.
Je viens de passer le
weekend seul dans la maison de ma mère pour y ranger, trier… Je
n’ai pas fait le choix délibérément d’y aller seul. Cela s’est
fait comme cela. Devant le gigantisme des choses matérielles à
faire, l’émotion se rétracte dans sa coquille pour te laisser
faire ce que tu as à faire. Mais il y a une chose qu’il fallait
que je fasse : ranger ses affaires ramenées de la maison de
retraite… J’ai vu à la chambre mortuaire de l’hôpital les
familles endeuillées comme la mienne, toutes portant un sac ou une
valise qu’on leur avait remis sans qu'elles sachent trop quoi en
faire, comme un fardeau symbolisant leur peine mais s'y accrochant comme bouée de sauvetage… Vider son sac à
main ; trouver ses petits mouchoirs, son porte-monnaie, ses
lunettes de soleil, les petits papiers pour se rappeler ; d'un
mot, de courses à faire, du nom d'un tel...
Et puis, ranger sa
trousse de toilette. Dans cette trousse il y avait des flacons, des
parfums. C’est lisse un flacon. Presque impersonnel. Sans affect.
Et puis, sa brosse à cheveux, avec ses cheveux encore
pris dans les poils de la brosse. Quelque chose alors de sa
corporalité qui revient, de sa présence, de son odeur. J’ai pris alors la brosse dans
la main, et, avec autant d’amour et de conscience que je le
pouvais, mais aussi avec la plus extrême détermination, je l’ai mise dans le sac poubelle. Parce qu’il nous faut
apprendre à vivre sans les brosses à cheveux de ceux que l’on a
aimés, parce que, autrement, c'est impossible. Parce que vivre sans s’encombrer de ce qui n’a plus de
raison d’être est la meilleure preuve d’amour que nous puissions
leur donner. En jetant cette brosse, je me suis autorisé à vivre
pleinement ce qu’il me reste à vivre et je l’ai autorisée à
partir. Loin, autant qu'elle aurait besoin ; pour son nouveau voyage. Les brosses à cheveux,
tout autant que les corps disparaissent. Et seul l’amour et la mémoire demeurent,
libérés du poids des choses et du chagrin…
J’ai
raconté (au sens propre !) à de nombreuses reprises comment et
pourquoi, ma mère fut déguisée en fée le soir où elle rencontra
mon père ; et c’est une belle histoire à raconter (surtout
pour un conteur !). Maintenant qu’elle n’est plus
physiquement présente, il me plaît de penser qu’elle est devenue
dorénavant fée pour toujours et veillant sur nous de là où elle
est. Chaque vie est une histoire à écrire, à charge pour chacun de
rencontrer ses fées sur son chemin…
Laisser aller pour laisser advenir la vie....
RépondreSupprimerEt bien tu vois je ne la connais pas l'histoire de ta maman. Tu me dis dans quel billet je peux lire cela ? ou en quel lieu je peux écouter cela ? Et moi j'aime imaginer ta maman avec sa baguette de fée déversant sur ta tête une myriade d'étoiles d'or toutes douces et caressantes.
Ouii Ouiii
RépondreSupprimerLa chose qui m'apprend le plus et continue de me chambouler ( en bien, en émotions, en surprise et en bien à conquérir) c'est le fait que tout continue. J'ai énormément appris cela et touché cela après la mort de ma soeur. Mort brutale, mort à son image. Et tout a continué dans le monde, le petit monde de chaque jour le grand Monde de la Terre qui tourne. Toujours un ciel le matin et le soir, toujours des supermarchés où acheter, toujours des heures qui passent, un réveil matin, des animaux dans la forêt, toujours tant de choses derrière nous après nous. Non pas que je m'imagine pouvoir empêcher le monde de tourner, mais finalement, il y a de cela. Me prendre en pleine poire combien tout peut continuer, se poursuivre, se bâtir, se vivre sans nous...ce fut presque une révélation. Dont je n'ai pas encore fait le tour, dont j'ai encore à apprendre pour avancer.
Merci Dominique.