Les Ailes du désir - Wim Wenders |
Il est difficile
d'accepter totalement le fait, que les choses et les êtres semblent
être reliés entre eux par des liens de causalité qui échappent,
pour une bonne part, à notre conscience ; comme si l'univers
était régi par d'autres logiques que nous ne percevons pas. Ces
autres causalités n'excluent pas les liens de cause à effet
logiques que nous appréhendons au quotidien, mais s'y ajoutent. Trop
souvent nous pouvons constater des coïncidences, des connexions dont
l'éclatant éclat rendrait l'explication par le simple hasard plutôt
hasardeuse, voire irrationnelle...
Et tout se passe, comme
si « grandir », se développer en conscience, revenait ni
plus ni moins à élargir nos champs de perception et de
compréhension. Grandir, se construire, c'est passer d'un couloir à
la ligne d'horizon et de la ligne d'horizon à plus loin encore. Non
pour fuir, mais pour habiter des espaces, des champs d'expérience de
plus en plus vastes.
Curieuse trajectoire que
celle de vivre. Cette expérience éphémère, cruelle tout autant
que jouissive, qui nous oblige un jour à mourir. Et curieuse chose,
qu'alors que dans le meilleur des cas nous avons passé notre
existence à essayer d'ouvrir les portes, les derniers instants
semblent focaliser notre conscience sur un faisceau de plus en plus
étroit. Peu à peu, la préparation à la mort évince tout ce qui
pourrait l'encombrer : les remugles du monde, les conversations
mondaines, et même le souci de l'autre.
Le médecin m'a appelé
il y a trois jours pour m'informer, et m'associer, au fait, qu'il
devenait inutile et déraisonnable de poursuivre les traitements pour
ma mère, et que le moment était venu de la mettre sous morphine. Et
vois comme la psyché humaine est curieuse : je lui ai répondu
et donner mon accord (que je ne regrette en aucune façon) presque
comme un automate. J'étais au travail, dans une bulle où les
émotions peuvent être mises à distance. Ce n'est qu'après avoir
raccroché que je me suis rendu compte ce que cela signifiait et
qu'alors la vague émotionnelle est montée. Et ce n'est que
plusieurs heures plus tard, en fin de journée, qu'ayant mon frère
au téléphone, il a utilisé l'expression de « soins
palliatifs » et que j'ai réalisé que c'est de cela qu'il
s'agissait. Moi qui suis habituellement si enclin à nommer les
choses... Comme si l'émotion, en effet, provoquait sidération et
panne de langage. Je n'ai pas nommé de suite ce qui était en jeu.
Si je raconte cela, après
l'introduction de ce texte, c'est parce que j'ai compris alors
quelque chose d'important. C'est que divers pans a priori distincts
de ma vie étaient en fait reliés. La difficulté à trouver une
configuration professionnelle qui me permettrait de partir vivre près
de l’Émerveillée en ses terres, tous ces projets que je ne
parviens à développer comme je le voudrais : les consultations
de Tarot, les contes et ce nouveau spectacle dont je n'ai pour
l'heure encore pas parlé, cet en-sauvagement social qui me fait me
retirer un peu du monde, ces difficultés financières qui me mettent
dans divers empêchements... Comme si ce temps d'attente de la mort à
venir imposait son tempo. Un tempo lent, profond, souterrain, dense
et lourd. Comme si cette attente faisait contagion et recouvrait tout
de son linceul, comme le silence après la neige.
Il ne s'agit pas de
n'importe quelle mort. Il s'agit de celle de ma mère. Oh non pas que
j'eusse avec elle une relation idyllique ! Nous eûmes elle et
moi une relation complexe et douloureuse. Mais là, où son départ
semble approcher, une part de moi entre comme en résonance
empathique avec elle. Comme un ultime travail qu'elle et moi aurions
à faire. Quelque chose qui n'est pas de l'ordre de la rationalité
psychique, mais d'un travail d'âmes qu'il nous reviendrait
d'accomplir.
Ce travail, je le laisse
pour l'heure dans le secret des choses. C'est là qu'il doit être,
car ces choses ont besoin de mystère comme une voiture d'essence. Je
ne sais les raisons objectives qui m'incitent à faire ce travail. Je
sais simplement qu'il me revient de passer par là comme si ce deuil
à préparer, cet accompagnement à effectuer, devait me permettre de
m'émanciper de bien des ombres qui rôdent depuis tant d'années et
comme si le départ d'une âme pouvait permettre à la mienne de
prendre un autre envol, une fois désentravée des liens qui
l'empêchaient...
Et puis, pour terminer ce
texte, cette phrase tirée d'un livre absolument magnifique d'une
« femme-medicine » amérindienne, Brooke Medicine Eagle
(« Marcher sur le chemin sacré de la femme bison blanc »
aux éditions Vega) : « La qualité de présence que
j'apportais dans une situation était directement proportionnelle à
celle que je pouvais en recevoir ». Et c'est bien de cela qu'il
s'agit ; travailler sur la qualité de notre présence afin que
nous puissions recevoir de chaque événement ce que nous avons
besoin d'en apprendre dans sa plus parfaite expression.
OH.
RépondreSupprimerEt bien quelle chance qu'on t'ai appelé, déjà, pour te prévenir.
Et quelle chance ce chemin qui arrive, continue.
La mort de la mère, du dernier parent, est un tel évènement, rien ne peut penser, comprendre, ce qu'il enfantera dans notre vie. C'est ce que j'ai vécu en tout cas. Nous ne maîtrisons rien, et tout ce qui était en place se met à être et à acter, comme une marionnette endormie en nous qui s'anime. Elle attend le Jour. Uniquement le Jour, rien avant ne peut être. Un tournant ne tourne que quand cela tourne sur la route et qu'on ne voit pas ce qui apparaît au delà.
Bisous