Illustration : Moebius |
Je vais d’abord te
raconter une histoire.
Je travaille actuellement
sur un nouveau spectacle de conte. Celui-ci est l’adaptation d’un
livre pour enfants que je n’ai pas réussi à faire éditer. Il
raconte l’histoire d’un garçon 10 ans qui, entre ses parents qui
divorcent et son entrée prochaine au collège, a une vie un peu
difficile. Un jour sa mère lui offre un cristal de roche. Dans la
nuit qui suit il va faire un curieux rêve, et puis d’autres les
jours suivants… C’est un spectacle qui parlera de notre vie
intérieure comme ressource face aux difficultés, de la vitalité
que l’on peut puiser dans notre vie onirique, de la vie d’un
enfant de 10 ans dans nos villes aujourd’hui, des peurs liés au
divorce, de l’amour, de ce qui nous lie, mais aussi –à mots
couverts- de pratiques chamaniques. (A noter que je me dis vraiment
que si ce spectacle-devait ne pas rencontrer des programmateurs ayant
envie de le partager, ce sera probablement le dernier ; tant
cette idée de travailler pour des choses non attendues par « les
professionnels de la profession » commence à me courir
violemment sur le haricot…)
Pour revenir à
l’histoire, l’enfant va bien sûr s’attacher à ce cristal,
jusqu’à ce qu’un jour, mystérieusement, celui-ci ne disparaisse
au grand désespoir de son propriétaire. Guidé par une voix
onirique mystérieuse, il finira bien sûr par le retrouver quelque
part autour de chez lui, dans la nature (je n’en dirai pas plus !)
Cela est donc l’histoire que je travaille en ce moment, sachant que
j’ai écrit ce texte il y a environ deux ans très peu de temps
après avoir découvert les pratiques chamaniques et qu'il s'imposa à
moi bien plus que je ne m'imposais à lui.
Là-dessus, l’autre
midi, je poursuis la lecture d’un livre que je trouve magnifique,
de Brooke Medicine Eagle « Marcher sur le chemin de la femme
Bison blanc » aux éditions Vega (j'en parle aussi dans mon précédent texte). L’itinéraire et la
formation d’une admirable « femme-médecine »
amérindienne. A un moment, elle raconte sa relation avec certains
cristaux et raconte l’histoire d’une amie cherokee chez laquelle,
enfant, on avait détecté des dons et qui était donc enseignée en
conséquence. On lui avait offert un cristal auquel elle était très
attachée, et avec lequel -dit-elle- elle parlait comme avec un ami,
jusqu’à ce qu’un jour, ce cristal à son grand désespoir,
disparaisse lui aussi ! Elle finit par aller se confier à ses
grands-parents qui l’avaient en fait délibérément caché dans
une forêt et qui lui expliquèrent qu’en vertu de son lien avec ce
cristal, elle devait le retrouver par ses propres moyens. Ce qu’elle
fit !
Tu comprendras mon
étonnement en constatant qu’en toute innocence (ou ignorance !)
j’avais imaginé une histoire qui s’avérait être une
authentique pratique d’initiation ou d’apprentissage cherokee !
Ce qui me vint alors
suite à cette lecture, c’est une interrogation sur la notion
« d’inspiration ». Quel est ce mystérieux processus et
qu’est-ce qui agit lorsque nous sommes en train de créer une œuvre
d’art (mais aussi notre propre vie) ?
Étymologiquement,
« inspirer » vient du latin « inspirare » qui
signifie « souffler dans ». « Inspiration »
signifie donc « action de souffler dans ». Grâce à
notre inspiration, nous faisons entrer en nous, au sens propre, un
souffle qui va nous vivifier au point de nous apporter des mots, des
musiques, des images, des décisions dont nous n’avions pas
conscience. Poursuivant l’analogie ; celui qui au théâtre a
la fonction de rappeler le texte à un acteur oublieux est dénommé
un « souffleur ». Il apporte les mots que le comédien a
perdus.
« Être inspiré »
consiste donc à recevoir un souffle et des réponses qui donnent vie
à quelque chose. L’inspiration ne vient pas de nous, elle nous est
soufflée du dehors, donnée ; à charge pour nous de nous
mettre en capacité de la recevoir ; à accepter d'être habité
par autre chose que nous-mêmes. Et par le souffle, dans bien des
mythologies, vient la vie… (Il est également possible de considérer le fait "d'être inspiré" comme le fait d'être happé, intégré à un autre chose que soi, selon que l'on entende "être inspiré par quelque chose".)
Quel est ce principe
extérieur à nous qui dès lors nous nourrit ? Une sorte de sur
Soi plus inspiré que nous ? La réactivation d’une mémoire
cellulaire et / ou génétique qui viendrait à se réveiller ?
Le court-circuitage de nos rationalités ordinaires qui d’un coup
n’auraient plus lieu d’être et laisserait place à autre chose ?
Des muses comme des présences invisibles qui nous inspireraient ?
Des esprits omniprésents qui nous enseigneraient ? Des mémoires
enfouies et / ou refoulées qui referaient surface ? Bien
imprudent ou téméraire serait celui qui répondrait avec certitude…
Ce dont je peux témoigner
c’est que dans ces états modifiés de conscience (et cet état
d’inspiration et de disponibilité à autre chose en est un),
fréquentes sont les résurgences d’un savoir plus ancien que nous,
comme si nous ne faisions que de mettre en lumière des choses que
nous savions déjà sans en avoir conscience. Comme s’il s’agissait
simplement de révéler un potentiel gisant attendant d’être
réveillé. A moins que le vent ne vienne nous murmurer des paroles
très anciennes dans la douceur du soir…
Pour ma part, j’ai
souvent constaté, tant dans mon travail de conteur, que de
musicien, d’écrivain ou de tarologue, des intuitions, des
connexions toute-à-fait surprenantes : tel spectacle s’avérant
être un spectacle (Le Rêve de l’arbre) témoignant de rituels
chamaniques alors même que je ne connaissais pas ces pratiques à
l’époque et que j’attendais le prochain rêve pour le
poursuivre ; tel livre (la Ballade de Najac) soufflé dans son
intégralité un matin au réveil, au point que je n’eus ensuite
qu’à retranscrire ce qui m’avait été comme dicté ; telle
musique surgissant soudainement sous mes doigts sans que rien ne soit
venu l’explorer ou en dessiner les prémisses avant… Et puis ces
consultations de Tarot, où, toujours, les cartes tirées
correspondent à la réalité du consultant…
Et puisque je parle du
Tarot, raconter une autre histoire, où le tirant hier juste avant de
partir au tribunal pour rencontrer un juge des tutelles à propos de
ma mère, j’ai tiré la Justice. Facile et prévisible
m’objecteras-tu. Sauf qu’en entrant dans le bureau de ce jeune
magistrat, il y avait derrière son bureau une sorte d’autel sur
lequel était posé entre autres objets… un Tarot de Jodorowsky !
Nos circuits neuronaux et
sensoriels ayant une fâcheuse tendance à tourner en rond, ils ont
besoin parfois d’être redistribués, vivifiés par un élan
extérieur. Notre moi social lui aussi enclin à se languir devant
ses miroirs a lui aussi intérêt à être bousculé de temps en
temps. Quoi de mieux alors qu’un souffle venu du dehors pour
revivifier tout ça ? Il suffit de garder quelques fenêtres et
portes ouvertes. Alors une intelligence que nous ne soupçonnons pas
se met à l’œuvre redonnant vie à ce qui s’était assoupi…
Inspirons donc alors ! A pleine âme et le cœur vibrant. Apprenons à accueillir ces visites d'un autre ailleurs qui nous emplissent de leurs mystérieux trésors pour mieux que nous les repartagions ensuite...
Inspirons donc alors ! A pleine âme et le cœur vibrant. Apprenons à accueillir ces visites d'un autre ailleurs qui nous emplissent de leurs mystérieux trésors pour mieux que nous les repartagions ensuite...
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