Dans l'étude des contes
traditionnels, il est acquis que très souvent la figure de la
sorcière était à l'origine celle d'une femme de savoirs,
connaissant les rythmes de la nature, proche des grands cycles
naturels et le plus souvent experte en herboristerie, et qui fut
diabolisée à une époque de christianisation à outrance ;
christianisation qui passa par un détournement vers la caricature de
beaucoup de mythes et de symboles pré-chrétiens. A noter au passage
que la figure du sorcier dans l'imaginaire occidental n'existe
quasiment pas, laissant le privilège du mal à la femme, ce qui en
dit long sur ses frayeurs refoulées...
Pourtant, de toute
évidence, les sorcières existent aussi « pour de vrai »
et dans les contes l'une et l'autre -la femme de savoirs et la simple
sorcière- ont souvent la même apparence. Elles vivent toutes deux
au fond des forêts, sont habillées sans soucis du bien paraître,
sont à l'écart du monde des hommes, elles s'adonnent à de curieux
rituels, maîtrisent force tours et pratiques magiques, sont proches
du végétal et de l'animal bien plus que de la culture humaine...
Elles possèdent l'une et l'autre des savoirs que nous ne connaissons
pas.
Simplement, à partir de
ce qui semble un même savoir ou une même figure, l'une fait le
bien, l'autre le mal. Figure ambiguë et complexe qui oblige à se
poser la question, tout d'abord de la fonction du mal dans les
contes, ensuite de celle des raisons de la bascule dans un camp ou
dans l'autre.
Car dans les histoires,
la représentation du mal -qui peut être celle de la sorcière comme
de l'ogre ou de toute figue prédatrice (Barbe Bleue par exemple)- sont là pour faire en sorte que les forces du bien trouvent à
s'exprimer et à se renforcer. Dans le conte merveilleux, le mal ne
gagne jamais. Il peut semer la mort et la désolation, mais le bien
(souvent incarné par un ou des enfants ou par un jeune homme ou une
jeune femme innocents) en viendra toujours à bout ! Le mal
permet au héros de découvrir le pouvoir qui repose en lui et qu'il
ignorait jusque là. Ainsi donc, cette figure du mal -comme celle du
Diable- aurait une double fonction : d'abord nous obliger à
voir ce que nous ne voulons pas voir en nous, à éclairer nos zones
d'ombre ; d'autre part à réveiller et faire naître une
puissance bénéfique qui n'était pas encore réalisée ; entre
autre chose en nous obligeant à traverser nos peurs. C'est
objectivement d'ailleurs une des fonctions du Diable dans le Tarot
qui, entité de la nuit et de l'ombre, en éclairant de sa torche nos
ténèbres, nous oblige à voir ce qui nous effraie et en profite
parfois aussi, au passage, pour créer une relation de dépendance si
l'on n'y prend pas garde...
Le mal dans les histoires
a donc une fonction bien précise qui est de réveiller les forces de
Vie qui s'étaient endormies. Mais qu'est-ce qui fait qu'un être,
homme ou femme, à partir d'un même biotope et d'un savoir très
proche devienne soignant, guérisseur ou figure de sorcellerie ?
Comme dans la vie, sans doute une histoire de parcours, de fidélité
ou de transgression à ceux qui les ont enseignés, à ce qu'ils ont
fait de leurs épreuves, à comment ils ont été aimés, tutorés,
formés, portés. Et là, je ne peux que renvoyer à Star Wars et à
la figure de Dark Vador...
En fait l'un (ou l'une)
reste dans la demande insatiable de satisfaction de son ego et de ses
manques, alors que l'autre œuvre pour le bien d'autrui. L'un se fait
prédateur, l'autre se met au service. L'un affaiblit son prochain
pendant que l'autre le renforce. Pour faire court, l'un est sorcier,
l'autre est sourcier. Étymologiquement, le premier « jette
des sorts », le deuxième « fait surgir ».
Le premier prend, l'autre donne. L'un bloque pour prendre, l'autre
fait rejaillir la force de vie qui était enfouie. Histoire de
pouvoirs : l'un se nourrit du pouvoir de son prochain en
l'affaiblissant, l'autre redonne le pouvoir à son prochain et ainsi
le renforce.
Figure duale vieille
comme le monde que l'on peut poser sur bien des contextes. L'économie
néo libérale ne serait-elle pas une sorte de sorcellerie
affaiblissant les uns pour renforcer les autres ? Dans un autre
contexte entre le chamane qui soigne et guérit en ayant à cœur le
souci bienveillant de l'autre et le sorcier qui se fait payer pour
affaiblir certains au profit d'un autre... Même cas d'école !
Le chamane ne fait rien sans la demande et le consentement de son
« client », le sorcier en fait fi.
Et même dans un contexte
de consultation de... Tarot par exemple... Entre celui qui s'enrichit
en formulant à son client que ce qu'il a envie d'entendre (vous
savez, par exemple, ces consultations par téléphone taxée à la
minute que l'on peut trouver par petites publicités dans certains
journaux...) et celui qui fait en sorte de redonner à celui, ou
celle, qui vient le voir une part de sa responsabilité, de son
autonomie et de son pouvoir personnel.
Restons un peu dans cette sphère du soin à la personne, car cela résonne étrangement avec ces histoires de sorcières. Les bons thérapeutes,
les bons chamanes, les bons tarologues, tels que je le conçois, ne
sont pas des sorciers mais des sourciers. Ils œuvrent à redonner à
chacun la part de pouvoir qu'il a perdu. Ils ne sont pas là pour
faire à la place de l'autre, pas là pour raconter des balivernes
flatteuses, pas là pour placer l'autre sous emprise (entre autre
pour qu'il revienne...). Ils sont là pour redonner une marge de
manœuvre et d'autonomie. A charge pour eux de trouver les bons mots
pour que le patient (ou client) puisse se l'approprier. Nous
sommes des sourciers des pouvoirs perdus. Nous creusons, forons,
éclairons, cherchons pour que rejaillisse une force de vie qui
s'était égarée ou perdue. Nous redonnons force et vie à ce qui a
été perdu (et pour revenir au Diable dans le Tarot, l'eau qui coule
derrière lui ne serait-elle pas la trace de cette source que nous
nous devons d'aller chercher quitte à devoir passer par l'ombre
qu'il représente ?).
Cela nécessite à celui
qui est dans cette position (tarologue, psychothérapeute, chamane,
guérisseur ou autre...) un vrai travail sur lui. Une ascèse. Et
c'est probablement ce travail-là que le « sorcier » ou
la « sorcière » n'a pas eu l'occasion de faire, trop
fragile pour aller chercher en lui.
Ainsi donc, deux figures
s'appuyant sur de mêmes savoirs peuvent indifféremment, comme dans
les contes merveilleux, devenir être de bien ou porteur de mal. Dans
un registre moins explicitement moral ; l'un a une éthique,
l'autre est un prédateur qui parfois même s'ignore. Faisons le vœu
que comme dans ces histoires si anciennes et édifiantes, ce mal qui
s'incarne soit à même, malgré tout, de réveiller les forces vives de la vie pour
que les sources enfouies à nouveau jaillissent... Éternel
recommencement...
Et une base de réflexion
sur l'éthique !
Pour celles et ceux qui ne connaîtraient pas, j'ajoute comme il en est question dans le texte l'arcane du Diable dans le Tarot de Marseille (version Jodorowsky) :
Ouh la c'est long comme il faut
RépondreSupprimerJe reviendrai calmement
C'est rigolo, "sorcier-sourcier" est une association qui m'est chère depuis longtemps et cela fait plusieurs fois qu'elle revient dans la conversation ces dernières semaines...
RépondreSupprimerJ'adore l'expression "sourcier des pouvoirs perdus"...
C'est bien de cela qu'il s'agit :
faire resurgir les pouvoirs intérieurs et personnels des uns et des autres...ou plutôt les laisser revenir à la surface...
Merci pour tes articles, toujours profonds et passionnants...