samedi 14 septembre 2019

Un effacement qui n'en est pas un

Désolé, je ne connais pas l'auteur de cette image


Plus les mois passent, plus je perds de cette propension à vouloir avoir un avis sur tout. Et pourtant j’ai passé ma vie à ça. Nos opinions sont des illusions, des compromis, des vérités partielles, mâtinées de notre histoire, de nos origines, de notre parcours, de nos valeurs. Le drame disait Guitry, c’est que tous les hommes sont persuadés que leurs pensées sont justes… Nous vivons avec cette illusion que « nous pensons bien » ; ce qui a dès lors pour conséquence que ceux qui ne penseraient pas comme nous seraient dans l’erreur. Mais nous ne connaissons rien du monde et ne pouvons penser qu’à travers ce qui a pu arriver jusqu'à nous : des bribes, des parcelles de savoirs, des filaments d’expériences… Alors du coup, les discussions me fatiguent vite. Je n’ai plus envie de me la ramener surtout quand je sens en face une véhémence trop sûre d’elle-même. Oui bien sûr, j’ai des croyances, des pensées (ah que le monde irait mieux si chacun acceptait l’idée que ses pensées sont des croyances bien plus que des vérités pur jus !), une vision du monde, des valeurs, avec lesquelles j’essaie de faire au mieux et à peu près cohérent. Mais je n’ai plus envie de les porter comme des étendards à défendre. Petit à petit je me retire de ce cirque. Non par abattement ou esprit de défaite, mais parce que je me rends compte que le prix de l’énergie à payer est trop important et qu’il importe plus en ce moment de parvenir à faire cercle bien plus que schisme.

Parce que oui, si il y a une chose dont je sois certain, c’est que le pire est devant nous. L’effondrement de notre monde, de ce que nous avons connu est devant nous. Ma génération est peut-être la dernière à avoir pu jouir d’une insouciance tranquille. La fin de notre civilisation devient de plus en plus certaine et nous assistons de visu à la sixième extinction massive des espèces, et la nôtre n’y échappera sans doute pas. Dire qu’il faut nous y préparer devient une banalité. Et pourtant. 

Face à de telles échéances, j’ai fini par me dire qu’il y a deux options possibles : la peur, la haine, la colère la guerre... ou bien un immense travail sur soi pour réapprendre à nous relier à la magie du vivant et à l’autre. Un travail sur nous-mêmes visant à nous décoller -même un peu- de nous-mêmes pour nous laisser bercer par la beauté restante du monde. Une autre banalité : si nous ne faisons pas la paix en nous, ce sera le chaos. Ou plus exactement, du chaos rajouté au chaos. 

Que reste-t-il lorsque nous nous sommes « désidentifiés » de ce que nous pensons être nous-mêmes ? Un inconfort, de la peur, de la fragilité et… du vide et du silence. Un vide matriciel -celui du Tao et du Zen- du sein duquel peut émerger quelque chose de nouveau. Un silence du cœur duquel peut surgir de nouvelles alliances avec le Monde. Quelque chose qui ressemblerait à une pacification, puis à une paix effective. Vide et silence : les deux choses, je crois, que notre monde abhorre le plus ! 

Concernant ce silence et ce vide, j’ai longtemps cru qu’il fallait en quelque sorte s’extraire du monde pour aller à leur rencontre. C’est vrai en partie, c’est vrai au début. Mais je n’ai pas la grandeur et l’abnégation de l’ermite. J’ai besoin des autres, de leurs présences, de leur tendresse, de leur contact ou de leur affection. Et puisque l’on parle de présence, je témoignerai de ceci : à un moment, il est possible d’entrer dans la Présence. Pour ma part, c’est fugace, bien trop rare, toujours imprévisible. Et j’en arrive à me dire ceci : une fois vécue cette expérience du retrait du monde, il faut revenir dans le monde. Non pas pour s’épuiser en des querelles de pensées trop souvent (pas toujours, car parfois il faut savoir défendre certaines choses comme des fauves) stériles et épuisantes, mais pour activer cette Présence et ce silence au sein même du monde. Et c’est bien plus intéressant que de vouloir avoir raison… Il n'y a dès lors plus rien à imposer, juste à être. Et parce que nos pensées, nos jugements, nos croyances, nos peurs... sont comme autant de barrières que nous nous imposons, les affaiblir revient à laisser entrer ce qui en était refoulé. Ce pourraient être des remontées d'égouts, certes, mais dans mon expérience c'est de la lumière, de l'amour et des potentiels qui prennent corps...

Je vais avoir 60 ans dans un peu plus d’un mois, et dans le même temps, je vois cet effondrement de notre monde arriver. Le temps n’est plus le même que lorsque j’avais 20 ans. Je n’ai plus la vie devant moi, même si j’ai la faiblesse de penser que m’attendent encore de longues et belles années. Mais voilà, il y a quelque chose qui ressemble à des échéances, qui, pour reprendre je crois une expression mitterrandienne, ont à voir avec la vérité. 

Ainsi donc se dessine pour moi un nouveau récit. Un récit dans lequel s’estompent peu à peu les revendications sur moi-même «(« j‘ai raison », « je suis conteur », « je suis tarologue », « je suis écrivain », « je suis directeur culturel", ou "chamane", ou que sais-je encore...) pour tenter de développer, humblement mais avec une persévérance sans faille, une magie de la pure présence, témoignage qu’une autre relation au Monde et au Vivant est possible. Comme le replacement d’un besoin de reconnaissance par simplement le témoignage d’une expérience de « qualité d’être » sans enjeu d’ego. 

Tout à l’heure, je suis tombé nez à nez avec un poème de Rumi d’une parfaite actualité : 

« Assois-toi, sois calme et écoute, 
car tu es ivre,
et nous sommes au bord du toit ». 

Oui, nous sommes un monde ivre au bord d’un précipice, et nous devons apprendre à rester calmes et à écouter. Ne serait-ce que pour éviter de faire n’importe quoi...

3 commentaires:

  1. Bien beau et j'oserais dire plus agréable pour moi à lire que certains de tes articles qui veulent qu'on les écoute, qu'on entende un message. Je ne sais pas si tu vois ce que je veux dire là.

    Je passerai ton article, lien, à L'Homme de ma maison, cela lui parlera.

    Bises

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  2. Oui je comprends. En fait je produis en général deux sortes de textes : les premiers sont construits, argumentés, pensés en amont, et sont plus rhétoriques et démonstratifs ; les autres me sont pour ainsi dire "soufflés" et ont du coup souvent une légèreté que les premiers n'ont pas. Mais pour le reste, oui, il est difficile de se débarrasser de l'envie de convaincre !

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  3. Et bonjour l’ami ! Une revenante ;-) comme toi travail sur soi travail où il n’y a ni retraite ni pension mais retraite au sens de retrait pour mieux voir c’est bien connu avec l’age On voit mieux de loin !! Le chaos, la fin de l’espèce ! Oui peut-être sûrement même mais croyons en l’histoire du phénix !! Cela m’a bien fait plaisir de repasser chez toi !! Joyeux anniversaire anticipé pour moi 62 next month !! Bon vent et continue bisous

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