Fan Ho : "Approching shadow" - 1954 |
A
quelques jours d’intervalle, deux amies m’ont témoigné avoir
vécu en très peu de temps la mort d’un être être cher puis la
naissance d’un enfant dans leurs entourages très proches. Une
expérience vertigineuse et troublante de la vie et de la mort côte
à côte, une mise en perspective qui sidère, une montagne russe
émotionnelle de la larme au sourire. Vie et mort comme deux facettes
de la même pièce de théâtre dans laquelle nous essayons de tenir
notre rôle même si parfois notre voix se brise sous la douleur. Il
faudrait pouvoir mettre la mort dans une main, la naissance dans
l’autre ; peser le poids de chacune (égal ?) et puis réunir
les deux mains et les porter contre son cœur. Toute vie repose là ;
dans cette impossible compréhension, cette impossible acceptation
que ce qui naît va mourir et que ce qui va mourir permet à autre
chose de naître.
Une
Marraine de cœur à laquelle je témoignais d’une période
difficile m’a répondu cette phrase qui pour moi résonne :
« Tout changement commence par un tunnel. Et c’est les
qualités développées par la fréquentation du tunnel, qui sont
ensuite utiles en pleine lumière. »
Il
ne suffit donc pas de traverser le tunnel de nos chagrins et de nos
peines en tassant le dos et en attendant que ça passe, ou en se
disant que ce sera mieux plus tard, ou que c’est un mauvais moment
à passer, ou bien encore en hurlant vers le ciel à l’injustice ou
à la cruauté du sort (et c’est bien légitime quand par exemple
on perd trop jeune un être cher) ; il faut aussi se poser la
question de ce que l’on a à faire, à vivre et à comprendre dans
ce tunnel. Parce que c’est ce que nous comprendrons dans cette
obscurité de l’âme qui déterminera la nature de la sortie. Tout
tunnel par nature est sombre et il y a même un moment où plus nous
avançons plus il y fait sombre. Comme si tout ce que nous pouvions
entreprendre pour aller mieux n’engendrait qu’encore plus de
perplexité et d’incompréhension. Ce n’est somme toute qu’à
la toute fin du parcours que nous voyons poindre à nouveau la
lumière au loin comme une délivrance à venir.
Quand
on aperçoit la lumière de la sortie au loin, il est facile
d’accepter son sort. Mais quand nous ne la voyons pas encore ? J’écris : « pas encore » parce que je crois
que cette lumière revient toujours. Croire à ce retour dans
l’obscurité la plus terrassante, cela s’appelle la foi.
Étymologiquement « foi » veut dire quelque chose comme
« avoir confiance ». Mais en quoi peut-on avoir confiance
quand on est soi-même perdu ou égaré dans la douleur du deuil par
exemple ? Certains ont la foi en Dieu ou en leur bonne étoile, d’autres ne l’ont pas. Pour ma part, j’essaie au jour le jour
de construire une réponse, et cette réponse pourrait être
celle-ci : je ne suis pas certain de savoir en quoi j’ai foi
ou pas, en quoi j’ai confiance ou pas. Mais je sais que me
revient la responsabilité, dans ce tunnel sans sortie visible, de me
dire que là, dans une épreuve parfois terrible, je peux construire
quelque chose en moi de nouveau. Qu’au moins ce tunnel puisse me
permettre de construire ce nouveau-là et sa cohorte de nouvelles
compréhensions. Parce qu’en sortir en étant rigoureusement le
même n’a absolument aucun intérêt revenant à ce que tout cela
n’ait eu lieu que pour rien. La douleur, le chagrin,
l’incompréhension, des échecs encore inexpliqués, nous forgent
comme acier dans les braises. Gare toutefois à ne pas nous endurcir
car alors nous nous privons de la légèreté des choses !
J’arrive
à un âge où certains commencent à mourir. Où celles et ceux qui
m’ont guidé et éclairé en mes jeunes années meurent comme
herbes sous la faux et où pourtant toute naissance m’apparaît de
plus en plus comme une lumière miraculeuse.
Dans
les tunnels que nous traversons nous ne trouvons pas toutes nos
réponses tant un insondable mystère opaque demeure. Nous sommes
comme des chercheurs de feu au fond de cavernes obscures. Nous
cherchons d’oniriques trésors qui ne sont que les facettes de
miroirs de nous-mêmes. Nous apprenons à être notre lumière.
Parfois il nous semble que les difficultés que nous rencontrons
viennent obscurcir ce miroir. Que nous fassions ne serait-ce qu’un
quart de tour et nous comprenons pourtant que loin de l’obscurcir
elles le nettoient. Avez-vous déjà nettoyé des vitres au blanc de
Meudon ? Vous savez ce produit blanc que l’on met sur les
vitrines des boutiques qui ferment. La pose du produit empêche la
lumière de passer. Que nous le rincions et alors la vitre apparaît
comme neuve. Nos épreuves, nos chagrins, nos larmes sont comme cette
poudre. Ils peuvent nous ensevelir. Que nous apprenions à enlever le
voile qu’ils déposent sur notre âme et alors un nouveau apparaît,
de nouvelles promesses émergent, de nouvelles naissances nous
enchantent… C’est l’incommensurable mystère de ce que les
alchimistes appelaient « L’Oeuvre au noir » : quand la
plongée dans l’ombre nous fait percevoir notre propre lumière.
Ce texte résonne profondément en moi.
RépondreSupprimerMerci à la Licorne de me l'avoir indiqué.
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Merci Célestine, je suis ravi ! Et saluez la Licorne de ma part si vous la voyez !
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