jeudi 1 septembre 2016

Un élan en commun



Je fus un enfant rêveur, sérieux (trop) et plutôt contemplatif. Je vivais (et parfois survivais) traversé de pensées et d'émotions sur lesquelles je ne pouvais pas toujours mettre les mots. L'une d'entre elles m'a habité très tôt : celle consistant à me dire que, quoique que je fasse, je ne pourrais jamais me mettre à la place d'un autre, entrer dans sa tête et ressentir ce qu'il ressent. Une sorte de frontière infranchissable qui rendrait l'autre à jamais comme un mystère, une autre rive. Je devais avoir, la première fois que cela m'a traversé, peut-être sept, huit ans, je ne sais plus. Mais je sais que de ce jour, j'ai investi une bonne partie de mon énergie psychique à tenter de réduire cette barrière-là, cet infranchissable énigme de l'autre. Et si je n'ai jamais, bien sûr, pu entrer dans la tête d'un voisin ou de qui que ce soit d'autre, j'ai vraiment essayé de comprendre comment chacun fonctionnait, avec bien sûr plus ou moins de succès...

De cette préoccupation a découlé, bien plus tard, une autre réflexion. Celle consistant à me dire que si je ne pouvais me mettre totalement à la place de l'autre, je pouvais m'en approcher suffisamment pour le comprendre, et que, pour ce faire, il y avait deux voies : une -efficace, consistant à tenter de le comprendre par la raison (ce que les chercheurs en neurosciences appelle -je l'apprendrai bien plus tard- « adopter la perspective cognitive de l'autre ») ; et une autre -royale, qui est la voie de l'empathie, de l'altruisme et de l'amour, c'est-à-dire cette capacité à me mettre émotionnellement à la place de l'autre et à entrer en résonance avec lui. Toutefois, les choses du cœur étant pleine de pièges, nombreux sont les obstacles et les malentendus ; deux des plus notables étant la possibilité de... se perdre soi-même, ou bien encore de ne projeter sur l'autre que nos propres dérives.

Et puis l'autre jour, lisant un livre de Matthieu Ricard et Tania Singer « Vers une société altruiste » (entretiens avec le Dalaï Lama – "la rencontre historique du Dalaï Lama avec des scientifiques et des économistes" chez Pocket), je suis tombé sur un texte qui a en quelque sorte remis quelques pièces du puzzle à leurs places.

Car si je veux entrer en profonde relation empathique avec l'autre, la meilleure solution est d'identifier le, ou les points, que nous avons en commun. Il est donc intéressant de réfléchir à cette question : y a t-il une chose que tous les humains, voire tous les êtres sensibles aient en commun ? Il y a la vie et la mort bien sûr, un élan vital à assurer sa propre survie, mais il y a autre chose. Quelque chose d'incroyablement simple et évident : tout être humain (et là encore tout être sensible) souhaite accéder au bonheur. Tout être vivant a une quête commune avec tous les autres : celle du bonheur et du bien-être. Que ce bonheur consiste à avoir le ventre plein, une tanière sécure, un écran plat, une grosse voiture, une belle maison, une réalisation spirituelle, une vie sexuelle débridée, un amour parfait... Partant de ce principe consistant à se dire face à un autre être : « ainsi, est-il comme moi, il ne souhaite qu'une seule chose : accéder au bonheur », j'en fais en quelque sorte mon égal nous reconnaissant une identité commune. Par là-même, j'élimine en partie les notions d'appartenance à un groupe, ou de rejet d'un autre, ou d'un groupe, que je jugerais « étrangers ».

Ce positionnement, a priori anodin est cependant très puissant au quotidien. Il permet entre autre de réguler et d'équilibrer bien des situations. Comme lorsque par exemple nous sommes en contact avec des personnes qui de toute évidence, et en fonction de nos grilles de lectures personnelles, semblent faire n'importe quoi de leur vie et que, par cette perception que nous avons, nous nous mettons alors dans une position haute du genre : « mais quel imbécile il fait, ne voit-il pas qu'il se trompe ? ». Dans ce cas, nous pouvons bien sûr parfois être dans le juste quant à l'analyse de la situation -voire même parfois être de bon conseil-, mais par le simple fait de cette relation déséquilibrée, voire légèrement moqueuse ou condescendante, nous rendons toute réelle empathie bienveillante impossible et nous nous coupons de la voie de notre cœur.

Par contre, par exemple et au hasard, si face à un jeune homme tout fier d'exhiber sa Peugeot 206 twinnée à jantes larges et à pot d'échappement d'avion à réaction, je perçois, non pas un idiot immature, mais simplement un être comme moi qui à sa manière cherche le bonheur et pense (même maladroitement) le trouver dans sa passion automobile, alors, je peux réellement entrer avec lui dans une relation de plein pied, en équanimité, et créer ainsi une vraie relation qui pourra (ou pas...) s'avérer fructueuse. Plus extrême encore : un criminel, probablement, commet des actions néfastes mu par le même élan, même si cela est fait au détriment direct de quelqu'un d'autre ou de la collectivité.

Ce travail sur l'égalité et la relation de cœur à cœur est vraiment puissante, car ainsi, je vois en chacun un semblable quand bien même celui-ci emprunterait-il des voies qui me paraîtraient des plus insensées...

Cela bien sûr n'implique en aucun cas une acceptation inconditionnelle des actes de l'autre, mais consiste simplement à reconnaître, même chez le pire des criminels, une humanité commune à la mienne, puisque justement, chacun à notre manière poursuivons une même quête. Serait-il possible de postuler que tout humain au comportement prédateur, quel qu'il soit et que cette prédation soit légale ou non, manquerait sans doute de cette capacité à se mettre à la place de l'autre et ainsi à le reconnaître comme un « autre lui-même » ?

Il est bien sûr tentant d'ajouter une pensée du type « ah bonheur que de carnages ne commet-on pas en ton nom !». Oui, sans doute. Car dans cette quête du bonheur et du bien-être, innombrables nous sommes à nous être souvent trompé. Cet élan maladroit-là, commun à tous, à toi, à moi, nous devons sans cesse y réfléchir et l'appréhender chez ceux que nous rencontrons. Ainsi se feront les belles rencontres !

Nous apprenons à lire et à compter, nous apprenons des métiers ; et c'est très bien. Mais nous restons trop souvent comme de parfaits ignorants quant à la Présence au Cœur. Une expression en ce moment a le vent en poupe : « être dans le cœur ». Il nous revient d'apprendre à l'être, tant ce monde à feu et à sang en a besoin tout autant que nous-mêmes en ressentons le besoin urgent...








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