dimanche 23 juin 2019

Graines de jardins




Depuis que je suis revenu vivre en région parisienne, une des choses qui me font vraiment plaisir est que j’ai obtenu une parcelle dans un jardin partagé. Oh ce n’est pas une grande parcelle ; cinquante mètres carrés tout au plus, mais qui me suffisent largement. Que je m’y rende ne serait-ce qu’une dizaine de minutes après une journée contrariante et tous les tracas s’envolent. J’y ai mis des tomates, des haricots verts, de la salade, des courgettes et toutes sortes d’autres légumes auxquels j’ai ajouté de petites parcelles de fleurs des champs pour les abeilles et pour faire joli. Oui, j’aime bien ce mot « joli ». Beaucoup le considèrent comme niaiseux ; j’en aime son innocence première. C’est vrai quoi : c’est joli des fleurs dans un jardin ! Soucieux de travailler respectueusement la terre, je n’utilise bien sûr aucun intrant chimique et j’ai paillé toutes la surface pour que le sol travaille à son rythme et peu à peu devienne plus nourricier. J’y viens régulièrement et en fonction des besoins pour arroser et enlever un peu des herbes folles en certains endroits. En un mot, j’en prends soin.

Et vois-tu, ce qui me vient, à chaque fois que je m’y rends, c’est que si chacun des près de huit milliards d’êtres humains vivant sur la planète prenait le même soin d’une parcelle de terre et bien, la planète et le cours des choses en iraient sans doute tout autrement. 

« J’en prends soin ». mais de quoi je prends soin exactement ? Du jardin, oui, mais au-delà ? D’une belle récolte escomptée ? Oui, bien sûr, mais au-delà ? Je prends soin du vivant. Je prends soin de cette parcelle de terre qui m’est prêtée, que d’autres ont travaillée avant et que d’autres travailleront après. J’essaie de le faire avec intelligence en respectant le site, en plantant et semant juste ce dont j’ai besoin, en ne spéculant en rien sur ce travail, en acceptant que d’autres espèces vivantes la partagent avec moi ; j’en prends soin. Mais au-delà de cet aspect de quoi encore je prends soin ? En fait, je prends soin de moi, ou plus largement de la vie qui me traverse. Il n’y a pas la nature, l’environnement d’un côté, et moi de l’autre. Je fais partie intrinsèquement de cette nature, je suis composé des mêmes atomes, des mêmes particules, des mêmes énergies, je procède des mêmes mécanismes ; Je suis dans un Tout et m’en couper revient à me couper de moi-même. Le mot « environnement » a été créé pour justifier les pires compromis. En isolant l’Homme de ce qu’il observe on lui fait croire qu’il en est extérieur. C’est une logique de fou. Ne nous y trompons pas : la réussite de ta vie ne sera pas jugée aux biens que tu as accumulés, à ton apparente réussite, ou même à des créations diverses et variées. Non. La seule question qui vaille est celle-ci : as-tu suffisamment pris soin de la Vie qui te traverse et dont tu es dépositaire ? L’as tu fait chanter à tue-tête certains soirs de printemps ? As-tu pris des bains de lumière solaire ? As-tu été émerveillé par le vol d’une hirondelle ? Et si ton âme est la part de toi la plus pure et la plus réalisée, l’as-tu honorée et servie comme il se doit ? As-tu été sourcier de ta Vie ? T’es-tu sentir appartenir à la grande fratrie des coquelicots, un jour, et à la magnificence des grands arbres, un autre ? T’es-tu senti danseur cosmique de nuages ? Les parcelles de vivant que tu as croisées au cours de ton existence sont-elles plus belles et fécondes en sa fin qu’au début ? Quel héritage laisses-tu à ceux qui te suivront ?Quelles traces de bonté et de lumière as-tu déposées dans le cœur de ceux que tu as croisés ? As-tu tenté de laisser la terre plus belle ? Es-tu parvenu au fil de ta vie à ce que ton âme soit plus lumière que trou noir ? En un mot : as-tu pris suffisamment soin de ton jardin, tant la part qui vit en toi que celle qui t’entoure, t’enrobe et t’englobe ? Nous pensons notre peau comme une frontière qui nous sépare, alors qu’elle n’est qu’une membrane.

Alors, il y a un jeu que je peux te proposer (oui, je pense que je vais proposer de plus en plus de jeux au fil des mois). Pense d’abord à un jardin. Si tu en as un, c’est bien, si tu n’en as pas, imagines-en un. Visualise toi en train de t’en occuper, avec amour et patience. Réjouis-toi des premières pousses, sens la joie quand tu t’y rends et que tu mets les mains dans la terre. Imagine ensuite que toutes tes activités de ta vie sont comme autant de jardins à cultiver : ta, ou tes, relation(s) amoureuses, tes relations familiales, ton rôle de père ou de mère, ton travail, tes relations avec tes collègues, tes loisirs… Vois chacune de ces activités comme une parcelle d’un jardin bien plus grand qui les contiendrait toutes et serait in fine aussi infinie que l’univers. Ensuite, pense aux jardins des personnes que tu rencontres ou avec lesquelles tu échanges, pense que leurs jardins et le tien sont un même et grand jardin. Essaie d’imaginer que toutes tes relations sont un jardin à cultiver. Mets-y autant d’amour, de soins et de patience que tu en mets à faire ton jardin. Comme avec ton jardin, n’essaie pas de faire « contre », mais de faire « avec ». Essaie de t’harmoniser avec les caractéristiques de tous ces jardins. Et si parfois tu sens monter en toi de la colère, de la contrariété, du ressentiment, observe à quel point ces émotions viennent obscurcir la source qui commençait à jaillir. 

Car il arrive parfois de tomber sur des parcelles arides ou rien ne pousse et où rien ne poussera jamais, où tout n’est pas que buissons d’épines et plantes vénéneuses. Observe alors comment l’aversion, et parfois l’horreur, qu’elles provoquent en toi viennent abîmer ta force de vie et ta capacité à t’occuper de ton merveilleux jardin. Observe comment l’énergie que tu mettais à faire fructifier pour le bien de tous ton jardin se dilue dans le fait de vouloir combattre ce que tu as rencontré. Dis-toi alors que la bonne stratégie, souvent et donc pas toujours, n’est pas de vouloir détruire ces horrifiques visions, mais plutôt de faire prospérer ton propre jardin pour faire reculer l’autre. Et surtout, pour chacun de ces jardins traversés et rencontrés, pour chacune de ces rencontres, pour chacun de tes projets, essaie d’y mettre la même vibration bienveillante, sincère et désintéressée que tu mets à cultiver ta parcelle de terre.

Ces actes que tu fais dans ton jardin ; arroser, semer, entretenir, nettoyer, prendre soin, tu peux ainsi les transposer à chaque seconde de ta vie. Veut-on à l’arrivée un champ de ruines ou un jardin ? C’est bien la seule question que devrait se poser l’humanité, en ces temps où sa disparition probable à court-terme, est une hypothèse de plus en plus plausible...

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