lundi 12 juin 2017

Le chant du tambour : un retour



Entre mes 20 et 26 ans, j’ai poursuivi le rêve d’être musicien professionnel, plus exactement percussionniste. Je jouais les congas, le berimbau et le djembé. J’étais alors un jeune homme encore un peu adolescent et aux rêves intacts. Matériau encore un peu brute j’avais la fougue et les fulgurances de l’adolescence mais aussi un substrat d’empêchements assez épais…
Je ne sais si à l’époque j’avais beaucoup de volonté, mais ce qui est sûr c’est que j’avais des désirs très puissants, et la musique fut un élan irrésistible. Je lui dois quelques-unes de mes émotions les plus puissantes, tant comme auditeur que comme musicien. Je travaillais beaucoup : deux à quatre heures par jour de pratique. Je pensais musique, vivais musique, parlais musique… J’étais une sorte d’obsessionnel branché sur une fréquence particulière ; celle de la musique et plus spécifiquement du rythme. Et, une fois noté le fait que j’avais déjà à l’époque une curiosité insatiable pour diverses autres choses et plus spécifiquement pour le monde comme il va, je ne sais sans ces élans pluriels ce que je serais devenu. Un bloc de marbre noir fermé sur lui-même faute d’avoir réussi à atteindre la musique que j’entrevoyais ? Un musicien accompli mais figé dans ses cadres ? En tout cas, un jour, j’ai décidé d’arrêter la musique.
Ce fut rude et pour autant dire un peu violent. Sur les raisons qui présidèrent à ce choix, il y en eut beaucoup. Commençons par les choses matérielles : besoin d’argent, la précarité n’a qu’un temps. Continuons vers d’autres choses plus délicates. D’abord, pétri d’admiration pour le musicien avec lequel je travaillais alors, je ne suis pas sûr que je jouais totalement ma musique. Je crois que je jouais beaucoup la sienne et peu la mienne. Ensuite, il y eut un moment où je vis –ce fut comme un flash dévastateur- très exactement là où je me situais  en tant que musicien : pas le niveau pour faire la musique que j’aurais rêvé de faire, et pas le goût des concessions pour faire une musique que j’aurais pu jouer mais qui ne m’intéressait pas… Il y eut d’autres raisons plus affectives donc plus secrètes que je ne développerai pas. Disons simplement qu’un jour je vis –les choses n’avançant pas comme nous l’aurions voulu- que mon statut de musicien plus ou moins inachevé ne faisait plus briller les yeux de la femme que j’aimais alors… Parfois, nos vocations reposent sur des choses tellement étonnantes !
Cet arrêt de la musique fut un renoncement douloureux. Un schisme. Et toucher un tambour, malgré diverses tentatives, demeura longtemps pour moi quelque chose de douloureux, réveillant un inassouvi et un inaccompli qui me peinaient beaucoup.
Alors, le tambour a quitté ma vie (le berimbau un peu moins) pour, bien des années plus tard, être remplacé par la guitare que je continue de jouer et qui me procure toujours d’immenses plaisirs. Et puis, les années ont passé encore. Le jeune musicien chevelu que je fus approche d’une soixantaine plutôt dégarnie, avec beaucoup de kilos en plus, mais aussi beaucoup de compréhensions, de découvertes, de chemins parcourus et surtout une aptitude au bonheur et à la joie que je n’avais pas à l’époque. C’est peut-être d’ailleurs un trait du vieillissement : la capacité à la joie suit la même ligne que notre charge pondérale !
Les cycles qui font notre vie sont multiples et surprenants et avancent souvent en spirale. Un élan puissant duquel je finis par m’éloigner (ce peut être le conte, l’écriture, la musique…), pour y revenir souvent bien des années plus tard après avoir nettoyé en moi ce qui empêchait à un moment cet élan de se perpétuer. En général, j’ai le besoin d’arrêter quand une chose finit par prendre toute la place dans ma vie ou quand elle me semble se rigidifier. Depuis cette expérience de musicien, je refuse de m’enfermer dans une seule chose…
Et puis le tambour est revenu. De façon étrange et très puissante. Il est tout débord revenu grâce à la Voie du Tambour. Puissance du tambour pour voyager entre les mondes. Rythmes linéaires certes, mais cette pulsation sourde qui revenait. Dire que ce nouveau chemin fut et reste fondateur d’un nouveau irrésistible dans ma vie serait un euphémisme… Sur ce chemin donc, de multiples métamorphoses intérieures, et puis une nouvelle énergie qui peu à peu s’installe et l’élan puissant de prolonger ma pratique de la guitare –par nature plus intériorisée- par des propositions plus extériorisées, plus exubérantes, plus joyeuses, plus folles… Comme si une nouvelle présence, disparue pour un temps, était revenue m’habiter et me disait : vas-y ! Car oui, nous sommes à notre insu habités de présences (ou de possibles de nous-mêmes) qui se révèlent en fonction des méandres de nos vies…
Alors samedi dernier donc, je me suis offert un nouveau djembé (le premier étant resté d’une façon très étrange dans la lignée d’une ex…) Joie, retrouvailles. Inquiétude d’avoir tout perdu et de devoir tout réapprendre. Et puis non. Si la technique a bien sûr souffert des années d’abstinence, le son est toujours là. Le plaisir de jouer aussi, et surtout, toutes ces années (près de 30 ans !) m’auront permis de faire le deuil de ce que j’avais alors laissé en arrêtant la musique. Je me sens neuf devant l’instrument et pleinement moi-même. Bonheur.
Là où je pars vivre cet été, je pourrai jouer sans problèmes de voisinage (enfin, j’espère !). J’espère y trouver de bons musiciens pour jouer avec eux et d’ores et déjà je travaille sur la mise en forme d’un nouveau spectacle de contes qui reprendra une partie de mon répertoire africain mais avec le djembé… Un seul mot d’ordre : ne pas vouloir faire à tout prix « conteur africain » (la norme va parfois se cacher dans des endroits étranges…).
Le tambour est un chant puissant, soulevant une énergie dionysiaque. Et parce que dans le vivant tout est rythme, il s’inscrit dans un espace à la vitalité débordante. Il célèbre le corps, la joie d’être et le partage, exige la présence pleine et entière et se joue des états d’âme. Un nouveau souffle… Ainsi, de nos tambours chantant, nos pieds feront vibrer la terre, soulevant la poussière…

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