jeudi 4 octobre 2018

Ainsi parfois vont les rêves


Comme Rahan, le Fils des Ages Farouches, à chaque aube faire tourner le coutelas pour connaître la direction où aller. Ici, il montre la lumière, alors allons-y.


Toutes et tous, sommes vivants en devenir parce que nous avons des rêves. Pas tant les rêves du sommeil que ceux que, patiemment, au fil des mois et des années nous construisons. Nos rêves de vie. « J’aimerais tant devenir naturopathe ». « Je mets de côté pour faire le tour du monde pendant un an ». « Je veux fonder une famille avec trois enfants ». « Je vais acheter une vieille maison à retaper dans le sud pour en faire un gîte ». « Je veux devenir artiste », « Je vais écrire un roman et vendrai des milliers d’exemplaires », « un jour je vivrai l’Éveil, et alors toute ma vie sera lumière », «  Je veux aller aider les gens dans une organisation humanitaire ». «  Je joue toutes les semaines au Loto pour avoir une piscine », « Je veux devenir maraîcher bio », etc.

Ces rêves-là ne se construisent pas du jour au lendemain. Il est rare, même si cela existe, qu’une personne plaque tout ou se recycle du jour au lendemain. Dans la majorité des cas, c’est une lente élaboration, une cristallisation, une planification qui se fait au fil des mois et des années. Ces processus avancent conjointement avec la construction de nous-mêmes, la découverte et l’expérimentation de nos potentiels, les rencontres que nous faisons, les talents et les goûts que nous nous découvrons. L’élaboration de ces grands rêves / projets de vie mobilise une bonne part de notre énergie psychique, d’autant qu’ils sont souvent dans une conflictualité épuisante avec notre vie réelle. Alors peu à peu émerge le « un jour je le ferai ».

Comment finit-on par se convaincre que notre vérité et notre accomplissement passent par la réalisation de tels projets ? Qu’il nous revient d’accomplir cela si l’on veut être sûr de n’être pas passé à côté de nos vies ?

C’est un long processus que celui de ces rêves-là. Pour moi par exemple, devenir conteur de métier (et pas seulement dans le cadre d’une activité complémentaire) est un rêve qui s’est patiemment structuré sur une vingtaine d’années. Celui de devenir tarologue sur une bonne quinzaine d’années. Me convaincre que j’avais quelque chose à apporter au monde et que par là serait le chemin de mon accomplissement fut le cheminement de toute une vie. Ainsi suis-je devenu masseur, tarologue, conteur… Jardinier de l’humain disais-je alors…

Par ailleurs, suite à une petite enfance et à une enfance profondément contrariées, un autre de mes mythes était la vie conjugale. Être sauvé et se construire par l’amour, réussir ce que mes parents avaient raté. Une vie entière à fantasmer cette chose-là pour à chaque fois échouer avec plus ou moins d’âpreté. Ce qui avec le recul fut logiquement normal : grand blessé affectif, j’avais besoin d’amour et d’être aimé au quotidien, alors que mon besoin d’indépendance créait une incompatibilité mortifère avec ce besoin...

Un autre de mes mythes était le retour à la terre. Là était la vraie vie vivifiante et digne. Vivre dans la beauté du monde...

Alors, en quittant mon ancien emploi dont il me semblait avoir fait le tour, pour partir rejoindre ma compagne de l’époque et m’installer à la campagne comme conteur, tarologue et masseur, je faisais d’une pierre cinq coups et réussissais le prodige de réaliser cinq rêves majestueux en un….

Et quand aucun de ces rêves n’a marché (et parfois même de manière quasi surnaturelle) et qu’un an après je fus dans la situation de devoir retourner vers mon ancien employeur, dans mon ancienne région, célibataire qui plus est, et après un an de précarité économique dont plusieurs mois à la fin en intérim à travailler à la chaîne en usine, la tristesse et l’incompréhension furent grandes.

Car comment donner du sens à ça ? Partir réaliser ses rêves les plus profonds après les avoir maturer pendant des années et que rien ne marche ? Tristesse, colère, incompréhension, abattement, sentiment d’injustice et de damnation, solitude douloureuse, auto dévaluation (« faut-il donc être vraiment mauvais pour rater les choses de cette manière ! »)… Une plongée dans l’Ombre.

Pour reprendre une expression à la mode en ce moment, il arrive parfois dans nos vies que tout soit aligné. Que nous soyons dans un cercle vertueux. En ces instants, tout s’enchaîne harmonieusement, tout se répond, s’enrichit mutuellement et les synchronicités fleurissent… Au terme « aligné », je préfère d’ailleurs celui de « synchronisé » qui me paraît plus juste. Oui, parfois tout est synchronisé. Et donc, par voie logique, il arrive aussi parfois que tout soit désynchronisé. Toutes choses arrive à contre temps de l’autre, les refus, les impossibilités, les contrariétés, les épreuves s’accumulent dans une sorte de spirale infernale. J’ai tendance à penser que ces périodes devraient être perçues -au-delà d’une adversité ou résistance des choses que je qualifierais de « normales »- comme un ensemble de signes, d’alertes, à partir desquelles nous devrions nous dire que nous faisons fausse route. Donc, à un moment (et même relativement rapidement), dans mon beau projet de vie, les choses se sont désynchronisées (et quant à la question de savoir si « elles se sont » désynchronisées, ou si je les ai sciemment désynchronisées, je laisse pour l’heure ce débat de côté).

Et puis, il y a quelques jours ; la réponse. Fulgurante. Et cette compréhension là : Lorsque après avoir mûri pendant des années un rêve, nous pensons le temps venu pour le réaliser, nous ne nous rendons pas compte qu’entre le début de la maturation de ce rêve et sa mise en œuvre ; parfois à notre insu, nous pouvons avoir profondément changé. Et que ce rêve qui nous est si cher n’est peut-être plus adapté à ce que nous sommes devenus. Que nous sommes restés fixés sur ce rêve-là, alors qu’une part de nous, vitale, est peut-être déjà appelée à autre chose. A un autre rêve. Comme une désynchronisation entre nos rêves intacts et ce que nous sommes devenus au fil du temps.

Or, quand on passe une bonne partie de sa vie à se construire un rêve de vie, il n’y a qu’une solution pour changer de rêve : réaliser ce rêve ! Il ne peut y avoir d’autres solutions. Pourquoi ? Parce que tout rêve important non réalisé reste comme un fantôme et une chape de regrets qui empêchent quoi que ce soit d’autre d’émerger. Il occupe toute la place dans notre psyché. Quoi que l’on fasse, si l’on ne fait pas cette tentative de le vivre, toute notre vie restante nous resterons entre regrets et hypothèses (« ah si seulement j’étais allé jusqu’au bout ! »).

Donc ayant fait le pari, tel un joueur insoucient, de mettre tous mes rêves dans le même projet, je les ai tous perdus. Ou plutôt, je les ai tous dissous. Alors oui, la solitude, le chagrin, l’incompréhension, le désarroi. Jusqu’à comprendre cela : maintenant que je suis libéré de ce rêve-là, je suis comme un disque dur vierge à même d’en élaborer un autre qui correspondra plus à l’essence de ce que je suis devenu. Que suis-je devenu (je ne parle pas dans les faits, ça je le sais, merci ; je parle de mon âme) ? Et bien, justement, je ne le sais pas. Pas plus que je n’ai la moindre idée de quel sera le prochain rêve. Je me suis dés identifié de presque tout.
Libéré du fantasme d’être reconnu comme artiste, comme tarologue et soignant ; libéré du fantasme (et du besoin) de la vie conjugale pour m’accomplir ; libéré de toute image sociale, libéré d’une bonne partie de mes discours, je peux dorénavant avancer vers un inconnu tout autant effrayant que profondément régénérant.

Oh bien sûr, il y aurait bien d’autres regards à porter, bien d’autres analyses à élaborer, sur cette désarmante aventure, et ce qui est écrit ici n’est bien sûr pas la seule explication. Mais bon, quand il nous semble avoir presque tout perdu et échoué, que pouvons-nous faire d’autre que tenter de faire poindre de nos désastres une nouvelle lumière ?

J’ai voulu réaliser un rêve.
Ça ne devait pas être le bon .
il s’est débarrassé de moi.
Du coup, me voilà neuf pour inventer un autre...




3 commentaires:

  1. Le mot "rêve " me gène. Curieusement les grands changements ou décisions que j'ai pu faire, je ne les avais pas du tout rêvé. C'est venu comme ça, très vite, par ex partir travailler dans une ONG loin loin, bon OK après un an de courriers sans réponse, je rebossais en France ( repartie du Sud vers le Nord) mais quand un courrier qui n'était plus attendu est arrivé, en un mois on est partis. Zou. Je ne rêvais absolument plus du tout de partir à l'étranger.
    Mais il faut dire que tu t'es aussi trouvé face à a réalité de l'emploi en France actuellement, qui est très très dure. Si on a du fric plein les poches, on peut réaliser pas mal de rêves et ne pas se scratcher trop si ça pète, on a toujours du fric, on a une lampe d'Aladin, on ne se ronge pas d'angoisses. On vit ses rêves mais on vit dans un monde décalé et magique, où l'or coule, où un mécène vous comble, où la famille peut aider, que sais-je. De mon point de vue tu t'es surtout pris une face de la réalité en pleine poire; parce que tu vivais un peu dans une idée de rêve ? Donc maintenant tu vis dans la réalité et un rêve enfoui va te sauter au cou clés en main. ah ah ah. Gardons l'humour et la poésie, seuls capables de nous sauver. Bises

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    1. Ainsi donc, tu fais partie de ces quelques personnes dont je parle capables de prendre de grandes décisions très rapidement. J'avoue que c'est une capacité que je n'ai point. Vivais-je dans un rêve ? Je ne sais pas. Dans une illusion ?Sans doute. Le réel est brutal, c'est même en général à ça qu'on le reconnait ! Et qu'un nouveau rêve me saute au cou, j'aimerais bien ! En espérant qu'il sera plus réaliste et adapté...

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  2. Déjà éssayé
    Déjà échoué
    Peu importe
    Essaie encore
    Échoué encore
    Échoué mieux
    Samuel Beckett

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