dimanche 29 janvier 2017

Les trois paroles

Photo : Luiz Bhering

Dans un livre de Luis Ansa ; "Les contes de l'aigle" (éditions Le Relié), j'ai découvert l'histoire suivante :

"On dit que dans le monde des chamanes -sorciers ou guérisseurs- existent des êtres que l'on appelle les Nahuatls ; des hommes étranges "flottant" entre ciel et terre. Les villageois les appellent les "fous du mystère". Ils sont célèbres et libres de leur comportement.

Un soir, trois d'entre eux se retrouvèrent en plein désert selon ce que certains appellent "la loi des coïncidences", d'autres le hasard, et d'autres encore le mystère...

Avant de se toucher les mains, de manger et de boire (beaucoup !) ensemble, ils se présentèrent les uns aux autres.

- Je m'appelle Torcato, dit le premier, et mon métier est de déranger par la parole le sommeil des hommes. C'est pourquoi on m'appelle "l'homme à la parole qui marche".

- J'ai entendu parler de toi, dit le second, et je sais que ta parole est sans retour. C'est pourquoi, en ta présence, j'ai tous les sens en éveil. Mon métier est plus subtil que le tien et je le tiens de ma mère. J'utilise la parole qui ensemence et qui se trouve dans le dire sans raison, dans les contes, les proverbes et les légendes, qui sont pour moi comme des parents par alliance et savent bien mieux que moi aider les gens.

- Moi, je m'appelle Sans-Souci, dit le troisième en se grattant le crâne et en se balançant d'une jambe sur l'autre tout en souriant d'une façon que l'on pourrait qualifier de suspecte. Fidèle au nom que me donna mon père, lorsque je parle, je ne fais que répéter ce que les autres ont dit avant moi, utilisant ainsi la parole qui dort.

Cette histoire dit que, suite à cette rencontre mémorable qui se finit fort tard, les chamanes ont fait le pacte d'utiliser trois sortes de paroles selon les circonstances : la parole qui marche -celle qui secoue, réveille et dérange- ; la parole qui ensemence et qui aide ; celle qui nourrit- ; et la parole qui dort -celle... qui endort."

Histoire édifiante n'est-ce pas ? Et puisque les conteurs sont eux aussi des passeurs entre les mondes et des serviteurs de la Parole, il n'est pas inutile de s'interroger : quelle type de parole je porte lorsque je conte ?  Ai-je une parole qui vient secouer le sommeil des hommes et réveiller ce qui est tu ? Ai-je une parole qui vient guérir et ensemencer les âmes ? Ou bien ne fais-je que répéter des paroles convenues et ressassées histoire d'endormir tout le monde ?

Je te laisse bien sûr la réponse...

Reste que l'histoire insiste bien sur "selon les circonstances", sous-entendant par là qu'il est bon de maîtriser chacune de ces paroles et de savoir les utiliser judicieusement. Parfois, il faut savoir faire parler la foudre. Parfois, il faut savoir murmurer quelques secrets très anciens, et à d'autres, il vaut mieux ne rien déranger, les choses allant de par leurs rythmes. L'important alors étant d'être dans la conscience de ce que l'on fait et de ce que l'on dit... Il n'en demeure pas moins, mais tu l'auras deviné, que j'ai quand même un faible pour "le dire sans raison"...

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