dimanche 13 mars 2016

Nous sommes des sourciers des pouvoirs perdus



Dans l'étude des contes traditionnels, il est acquis que très souvent la figure de la sorcière était à l'origine celle d'une femme de savoirs, connaissant les rythmes de la nature, proche des grands cycles naturels et le plus souvent experte en herboristerie, et qui fut diabolisée à une époque de christianisation à outrance ; christianisation qui passa par un détournement vers la caricature de beaucoup de mythes et de symboles pré-chrétiens. A noter au passage que la figure du sorcier dans l'imaginaire occidental n'existe quasiment pas, laissant le privilège du mal à la femme, ce qui en dit long sur ses frayeurs refoulées...

Pourtant, de toute évidence, les sorcières existent aussi « pour de vrai » et dans les contes l'une et l'autre -la femme de savoirs et la simple sorcière- ont souvent la même apparence. Elles vivent toutes deux au fond des forêts, sont habillées sans soucis du bien paraître, sont à l'écart du monde des hommes, elles s'adonnent à de curieux rituels, maîtrisent force tours et pratiques magiques, sont proches du végétal et de l'animal bien plus que de la culture humaine... Elles possèdent l'une et l'autre des savoirs que nous ne connaissons pas.

Simplement, à partir de ce qui semble un même savoir ou une même figure, l'une fait le bien, l'autre le mal. Figure ambiguë et complexe qui oblige à se poser la question, tout d'abord de la fonction du mal dans les contes, ensuite de celle des raisons de la bascule dans un camp ou dans l'autre.

Car dans les histoires, la représentation du mal -qui peut être celle de la sorcière comme de l'ogre ou de toute figue prédatrice (Barbe Bleue par exemple)- sont là pour faire en sorte que les forces du bien trouvent à s'exprimer et à se renforcer. Dans le conte merveilleux, le mal ne gagne jamais. Il peut semer la mort et la désolation, mais le bien (souvent incarné par un ou des enfants ou par un jeune homme ou une jeune femme innocents) en viendra toujours à bout ! Le mal permet au héros de découvrir le pouvoir qui repose en lui et qu'il ignorait jusque là. Ainsi donc, cette figure du mal -comme celle du Diable- aurait une double fonction : d'abord nous obliger à voir ce que nous ne voulons pas voir en nous, à éclairer nos zones d'ombre ; d'autre part à réveiller et faire naître une puissance bénéfique qui n'était pas encore réalisée ; entre autre chose en nous obligeant à traverser nos peurs. C'est objectivement d'ailleurs une des fonctions du Diable dans le Tarot qui, entité de la nuit et de l'ombre, en éclairant de sa torche nos ténèbres, nous oblige à voir ce qui nous effraie et en profite parfois aussi, au passage, pour créer une relation de dépendance si l'on n'y prend pas garde...

Le mal dans les histoires a donc une fonction bien précise qui est de réveiller les forces de Vie qui s'étaient endormies. Mais qu'est-ce qui fait qu'un être, homme ou femme, à partir d'un même biotope et d'un savoir très proche devienne soignant, guérisseur ou figure de sorcellerie ? Comme dans la vie, sans doute une histoire de parcours, de fidélité ou de transgression à ceux qui les ont enseignés, à ce qu'ils ont fait de leurs épreuves, à comment ils ont été aimés, tutorés, formés, portés. Et là, je ne peux que renvoyer à Star Wars et à la figure de Dark Vador...

En fait l'un (ou l'une) reste dans la demande insatiable de satisfaction de son ego et de ses manques, alors que l'autre œuvre pour le bien d'autrui. L'un se fait prédateur, l'autre se met au service. L'un affaiblit son prochain pendant que l'autre le renforce. Pour faire court, l'un est sorcier, l'autre est sourcier. Étymologiquement, le premier « jette des sorts », le deuxième « fait surgir ». Le premier prend, l'autre donne. L'un bloque pour prendre, l'autre fait rejaillir la force de vie qui était enfouie. Histoire de pouvoirs : l'un se nourrit du pouvoir de son prochain en l'affaiblissant, l'autre redonne le pouvoir à son prochain et ainsi le renforce.

Figure duale vieille comme le monde que l'on peut poser sur bien des contextes. L'économie néo libérale ne serait-elle pas une sorte de sorcellerie affaiblissant les uns pour renforcer les autres ? Dans un autre contexte entre le chamane qui soigne et guérit en ayant à cœur le souci bienveillant de l'autre et le sorcier qui se fait payer pour affaiblir certains au profit d'un autre... Même cas d'école ! Le chamane ne fait rien sans la demande et le consentement de son « client », le sorcier en fait fi.
Et même dans un contexte de consultation de... Tarot par exemple... Entre celui qui s'enrichit en formulant à son client que ce qu'il a envie d'entendre (vous savez, par exemple, ces consultations par téléphone taxée à la minute que l'on peut trouver par petites publicités dans certains journaux...) et celui qui fait en sorte de redonner à celui, ou celle, qui vient le voir une part de sa responsabilité, de son autonomie et de son pouvoir personnel.

Restons un peu dans cette sphère du soin à la personne, car cela résonne étrangement avec ces histoires de sorcières. Les bons thérapeutes, les bons chamanes, les bons tarologues, tels que je le conçois, ne sont pas des sorciers mais des sourciers. Ils œuvrent à redonner à chacun la part de pouvoir qu'il a perdu. Ils ne sont pas là pour faire à la place de l'autre, pas là pour raconter des balivernes flatteuses, pas là pour placer l'autre sous emprise (entre autre pour qu'il revienne...). Ils sont là pour redonner une marge de manœuvre et d'autonomie. A charge pour eux de trouver les bons mots pour que le patient (ou client) puisse se l'approprier. Nous sommes des sourciers des pouvoirs perdus. Nous creusons, forons, éclairons, cherchons pour que rejaillisse une force de vie qui s'était égarée ou perdue. Nous redonnons force et vie à ce qui a été perdu (et pour revenir au Diable dans le Tarot, l'eau qui coule derrière lui ne serait-elle pas la trace de cette source que nous nous devons d'aller chercher quitte à devoir passer par l'ombre qu'il représente ?).

Cela nécessite à celui qui est dans cette position (tarologue, psychothérapeute, chamane, guérisseur ou autre...) un vrai travail sur lui. Une ascèse. Et c'est probablement ce travail-là que le « sorcier » ou la « sorcière » n'a pas eu l'occasion de faire, trop fragile pour aller chercher en lui.

Ainsi donc, deux figures s'appuyant sur de mêmes savoirs peuvent indifféremment, comme dans les contes merveilleux, devenir être de bien ou porteur de mal. Dans un registre moins explicitement moral ; l'un a une éthique, l'autre est un prédateur qui parfois même s'ignore. Faisons le vœu que comme dans ces histoires si anciennes et édifiantes, ce mal qui s'incarne soit à même, malgré tout, de réveiller les forces vives de la vie pour que les sources enfouies à nouveau jaillissent... Éternel recommencement...

Et une base de réflexion sur l'éthique !

Pour celles et ceux qui ne connaîtraient pas, j'ajoute comme il en est question dans le texte l'arcane du Diable dans le Tarot de Marseille (version Jodorowsky) :


2 commentaires:

  1. Ouh la c'est long comme il faut
    Je reviendrai calmement

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  2. C'est rigolo, "sorcier-sourcier" est une association qui m'est chère depuis longtemps et cela fait plusieurs fois qu'elle revient dans la conversation ces dernières semaines...

    J'adore l'expression "sourcier des pouvoirs perdus"...
    C'est bien de cela qu'il s'agit :
    faire resurgir les pouvoirs intérieurs et personnels des uns et des autres...ou plutôt les laisser revenir à la surface...

    Merci pour tes articles, toujours profonds et passionnants...

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